Sakina Abdou, sévit depuis de nombreuses années au sein de turbulents collectifs dont Muzzix mais c'est en solo que son identité forte et multiple transparaît de manière éclatante : un son puissant, précis, tantôt écorché, tantôt plein de grâce et de quiétude. Elle s'est exprimée au sein de multiples contextes dans un champs musical large et éclectique. Avec cet album solo, Sakina Abdou s'invite en elle-même, se centre et s'ancre pour la première fois dans son propre langage et y convoque les multiples influences qui l'ont nourries.
A travers un enregistrement « maison », nu, cru, sans effets ni artifices, on la retrouve seule, chez elle. On pourra prendre une chaise ou devenir sol pour s'installer à ses côtés aux abords du pavillon, tout proche, et se retrouver soi-même capturé dans une prise de son de proximité, presque macroscopique. On pourra l'accompagner et traverser à ses côtés l'arche musicale reconstruite à partir des moments collectés. On y sentira la solitude de la musicienne dans la pièce et la fantomatique présence de quelques invités éparses et muets lors des prises, témoins du processus d'enregistrement. Dans une photographie vivante, on prendra place à ses côtés pour éprouver ses 43 minutes de musique. On y suivra l'histoire qu'elle s'y raconte, toute personnelle, dans une humanité brute, simple et touchante. 43 minutes de jeu, de dynamiques renouvelées, de mises en regard des pièces dans un jeu précisément au bord de la maîtrise laissant apparaitre la tension d'un cadre formel autant que ses échappées et son laisser-jaillir. Un disque à écouter et à vivre.
Goodbye Ground est un album quasiment « Handmade » que Sakina Abdou a enregistré par « passages » à travers un dispositif de prise de son installé chez elle dans une pièce dédiée sur une durée de deux mois. Conçu comme un triptyque, le disque s'articule en trois pièces. « The Day I became a floor », la première, vient poser, dessiner et établir une architecture musicale éminemment horizontale, aux contours distendus se délayant dans une temporalité dans laquelle on s'installe et que l'on finit presque par imaginer immuable.La seconde vient foudroyer, fissurer, moudre et anéantir la précédente. « Goodbye Ground », pièce centrale et éponyme de l'album agit comme une révolution, un renversement. Elle vient marquer et délimiter un avant et un après. Agir comme un prisme et opérer une diffraction sur les éléments de langage pour les atomiser sous la forme de cinq pièces monades qui viennent s'inscrire dans la « Planting Chairs » suite que l'on peut imaginer se perpétuer et se décliner de la sorte infiniment. Cette arche musicale peut être pensée et lue en avant comme à rebours dans un avant et un après toujours et à jamais irréconciliables.
« C'est une musique de paradoxe: à la fois aérienne, dans ses soudaines bifurcations et diablement terrestre, plantée dans la raucité des anches. »
Guillaume Malvoisin