La série de
photomontages sur toiles réalisée par Eulàlia Grau au début des années 1970, réponse transgressive d'une jeune artiste féministe espagnole à la société franquiste autoritaire qui conditionne les pensées et les corps.
« Eulàlia Grau est née en 1946 à Terrassa en Catalogne, dix ans après le début de la guerre civile espagnole, dix ans après l'installation de la dictature de Franco. Elle grandit dans une société autoritaire qui conditionne les pensées et les corps par une idéologie nationaliste, conservatrice, machiste et catholique. En 1972, lorsqu'elle commence la série Etnografia, elle est âgée de vingt-six ans – Franco est toujours au pouvoir. L'ensemble apparaît comme une réponse percutante et transgressive d'une jeune artiste qui ne supporte plus le poids de cette autorité multiforme. Etnografia compte seize photomontages montés sur toiles. Eulàlia Grau les nomme peintures, bien qu'elle n'ait jamais peint. Le choix technique correspond à une urgence politique. À la surface de la toile sont collées des images, extraites de journaux, d'affiches et de magazines imprimés. Les images sont agrandies, recadrées et associées entre elles. Les formats dépassent largement ceux des pages des revues pour instaurer un rapport physique avec les photomontages. […] Eulàlia Grau y traite des connivences masculines au mépris des femmes, des personnes racisées, des personnes précaires, de la vie non humaine et des résistant.es. Les œuvres manifestent les violents écarts entre les classes sociales, ainsi que le fantasme d'une société où chacun.e est bien à la place que le pouvoir lui impose.
Le titre Etnografia, renvoie à une étude de terrain des modes de vie, des mœurs et de la culture d'une société donnée. Sur une période de deux années, entre 1972 et 1974, Eulàlia Grau propose de passer au crible la société espagnole d'un point de vue situé : celui d'une jeune femme catalane privée de ses droits fondamentaux, féministe, marxiste. […] Il est important de noter qu'Eulàlia Grau explore aussi bien les assignations faites aux femmes, que celles faites aux hommes dont les rôles se résument à être des footballeurs, des bodybuilders, des amateurs automobiles, des hommes d'affaires, des militaires, des dictateurs ou encore des gangsters.[…] Les œuvres engagent alors à une prise de conscience, à une révolution totale, à une déconstruction des dominations systémiques en Espagne et partout ailleurs. Le contexte artistique des années 1960-1970, largement in"uencé par le Pop Art et les bouleversements aussi bien géopolitiques que sociétaux, a amené les historien.nes de l'art à ranger Eulàlia Grau dans la maison du Pop Art. Pourtant, […] elle se reconnaît et s'identi!e davantage à l'héritage dadaïste qui a participé à une remise en cause plastique et politique des systèmes de dominations qui agissent dans toutes les sociétés. […] Ses œuvres s'inscrivent dans un mouvement artistique international régi par une urgence de la contestation, de la désobéissance et de l'opposition radicale.. »
Julie Crenn
Publié à l'occasion de l'exposition éponyme à la Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris, du 9 septembre au 8 octobre 2022.
Eulàlia Grau (née en 1946 à Terrassa, Catalogne), également connue sous le nom d'Eulàlia,
est une artiste pionnière de la scène artistique
féministe en Espagne et plus largement en Europe, connue pour son œuvre dénonçant les stéréotypes sociaux et de genre, notamment en Catalogne durant la dictature franquiste.
Eulàlia commence à étudier les Beaux-Arts à Barcelone, mais abandonne cette voie pour se consacrer à des études de cinéma à la Sala Aixelà, avec des professeurs tels que Pere Portabella et Alexandre Cirici, et à l'école Eina, où elle rencontre Albert Ràfols-Casamada et Josep Maria Carandell. À Milan, elle travaille au studio de design Olivetti. La plupart de ses œuvres ont été réalisées dans les années 1970 et au début des années 1980. Après un court séjour en Allemagne au milieu des années 1980, elle se rend au Japon et en Chine où elle restera jusqu'à la fin des années 1990, date à laquelle elle revient à Barcelone et reprend sa carrière artistique. En 2013, le MACBA a présenté une exposition centrée sur ses œuvres les plus critiques.
Dans son travail, Eulàlia utilise des photographies issues des médias, qu'elle re-contextualise en établissant un dialogue entre elles, faisant ressortir des messages sociaux très critiques. Outre les toiles émulsionnées et les sérigraphies, elle réalise également des affiches et des insertions dans des livres et des magazines. Dans une tentative d'échapper aux canaux médiatiques artistiques habituels, Eulàlia construit son œuvre comme un témoignage inconfortable de la société de son temps. Son travail documente les faiblesses, les contradictions et les perversités du système capitaliste, non seulement dans les mécanismes de perpétuation les plus évidents comme la police, l'armée et les prisons, mais aussi dans des institutions plus subtiles comme la famille, les écoles et les médias. L'un de ses sujets d'intérêt est la critique du genre. À travers elle, elle dénonce la situation abusive et inégalitaire des femmes et remet en question les stéréotypes féminins dans les sphères publiques et privées.