Le catalogue raisonné des œuvres de la période italienne de l'artiste américaine : la totalité des quelque 500 peintures et dessins réalisés dans les années 1970 reproduites (ou, pour les œuvres détruites ou non localisées, redessinées par Marcia Hafif d'après les notes qu'elle a conservées), un long entretien au cours duquel elle revient sur sa démarche dans le contexte culturel de cette période, une analyse de son travail dans une perspective historique par Eric de Chassey.
Un ouvrage majeur pour comprendre l'histoire de l'abstraction occidentale, au travers de cette figure de la femme peintre, emblématique des mutations de l'époque.
En 1961, Marcia Hafif quitte la Californie pour
effectuer son « Grand Tour » en Italie. Bientôt établie à Rome
pour près d'une décennie, elle va y créer quelque 210 peintures
et 255 dessins, collages, sérigraphies, dont elle laisse la
majeure partie en Europe lors de son retour aux États-Unis. Il
faudra attendre la fin des années 1990 pour voir ressurgir cet
ensemble dont la pertinence et la qualité sont saisissantes
(Mamco, 1999). Prologue jubilatoire aux monochromes qu'elle
considère comme des « peintures à une seule figure » et réalise
à New York à partir de 1972, la période romaine d'Hafif explore
les possibilités offertes par une peinture non-figurative qui
trouve ses motifs dans le réel (« néo-géo » vingt ans avant) puis
les ressources d'une abstraction post-matissienne, parfois à
la limite de l'image, imprégnée d'esthétique pop et travaillée
par des courbes biomorphes. Cette décennie privilégiée la voit
ainsi inventer avec brio une figure de femme peintre, emblématique
des mutations de l'époque.
Ce catalogue raisonné,
publication irremplaçable pour qui veut aujourd'hui comprendre
l'histoire de l'abstraction occidentale, s'accompagne
d'un important récit de l'artiste. Il pose le cadre d'un quotidien
qui ne cesse d'interférer dans la genèse des œuvres, permettant
de saisir comment s'opère l'osmose entre les influences
acquises au contact des expressionnistes abstraits de la Côte
Ouest, familiers de la mythique Ferus Gallery de Los Angeles,
et les registres de couleurs et de formes relevés à Rome, dans
l'architecture, les mosaïques de pavement, la signalétique, le
cinéma, etc. L'essai d'Eric de Chassey commente les enjeux de
l'abstraction géométrique de la décennie et inscrit ces travaux
romains dans une perspective historique.
L'œuvre de Marcia Hafif (née en 1929 à Pomona, Californie, vit et travaille à New York et en Californie) participe d'un mouvement qui apparaît dans les années 1980 et qui s'est propagé sous diverses appellations : «
Radical Painting », « Analytical Painting », « Fundamental Painting ». Toutes font référence à un type de peinture abstraite, auto-référentielle et généralement monochrome du fait qu'elle consiste en l'application d'une couleur sur une surface.
L'œuvre de Marcia Hafif est d'emblée liée à l'abstraction. Au cours des années 1960, marquées par un long séjour en Italie (1961-1969), elle évolue vers le « Hard Edge » : les formes se découpent nettement dans le champ pictural et rendent difficile la distinction forme / fond. La même période voit se multiplier des gestes et des attitudes (
Fluxus,
art conceptuel, « Process art », etc.) qui prédisent la fin de la peinture et, à son retour aux États-Unis, Marcia Hafif cesse momentanément de peindre. Elle explore différents médiums, tels la photographie et l'environnement sonore, et elle réalise des structures qui présentent des analogies directes avec la peinture, à la manière de celles que produisent à la même époque certains artistes de
Support(s) / Surface(s).
En 1971, elle quitte la Californie pour New York et se retrouve dans un milieu nettement plus favorable à la peinture. C'est dans ce contexte que se concrétisent en 1972 les premières recherches auxquelles elle va donner le titre générique d'« inventaire », en développant une approche analytique et surtout systématique qui a pour but de faire ressortir l'« acte de peindre » : soit essentiellement le travail de la couleur (multiplication des tons de gris jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible d'en produire de différents), le choix de la technique et du support (pigments purs mélangés à de l'huile ou saisis dans le médium, aquarelle, tempera sur bois). Elle procède par séries de façon à pouvoir épuiser les facteurs mis en jeu et à rendre le spectateur attentif à la complexité du travail pictural.
Se rendant compte que le monochrome pose un problème de composition au sens où il est difficile d'en fixer les limites et d'éviter qu'il n'entre en relation avec le mur, elle propose à partir de 1975 des « Wall Paintings » réalisées
in situ. Certaines peintures plus récentes font référence à des ambiances chromatiques à l'exemple des « French Paintings » inspirées par les couleurs de l'architecture lyonnaise (à partir de 1988).
Marcia Hafif, qui a aussi une activité théorique importante, replace elle-même son travail dans une perspective historique qui remonte à Rodchenko et à l'origine du monochrome. Une histoire dont elle ne partage pas que les enjeux formels puisqu'elle plaide aussi pour l'anonymat de l'activité artistique.
Éric de Chassey (né en 1965 à Pittsburgh) est un historien de l'art, critique et professeur d'art contemporain français. Il est directeur général de l'Institut national d'histoire de l'art depuis 2016, après avoir été directeur de l'Académie de France à Rome de 2009 à 2015.