Tu parles ! Comment va ta vache ? (
Picabia). Quoi, quoi ? Dit la grenouille, Bê, Bê, répondit la chèvre de Kurt Schwitters. Ma soeur, elle bat le beurre. Quesaquo ? Ca parle quelle langue ? C'est pas du français, ça ! C'est du caca. Non, c'est de l'onomatopéique dirait Charles Nodier, le conteur bizantin. Mais depuis
Brisset et
Dada (Tzara,
Picabia, Duchamp et sa Rrose Selavy), le
surréalisme (Breton, Michel Leiris et Desnos, les jeux de langues, les anagrammes, genre « glossaire, j'y serre mes gloses »), les brouillages et les glossolalies d'
Artaud, les crissements de
Bryen, les calembours et lapalissades de
Raymond Hains, les papafolies d'André Martel, le jargon hourloupien de
Dubuffet, les bégaiements de Luca ; mais depuis
Cobra et la désécriture de Dotremont et depuis le
lettrisme (
Isou,
Dufrêne, Brau,
Wolman, Pomerand : poésie infinitésimale, crirythmes, mégapneumes, expérimentations verbales), depuis la
pataphysique (Raymond Queneau et Boris Vian), depuis la poésie concrète (le mot come matériau), la poésie spatiale (les mots et les lettres dans l'espace) et la poésie sonore (l'énergie sonore et corporelle de la langue explorées par le microet le magnétophone) ; mais depuis
Fluxus et cie (
George Brecht, fan de San Antonio - l'inventeur néologique le plus prolifique depuis Audiberti -,
Robert Filliou, Ben, Dupuy et ses tableaux poèmes anagrammatiques) la langue française s'est enrichie d'une foultitude de ramifications inextricables. Seuls les écrivains et la rue transforment et renouvellent la langue commune encorsetée et censurée par les académiciens en tous genres, par les partisans du « bon langage » et des « bonnes manières » (Louis XIV est toujours dans les coulisses, législateur dictatorial de la langue de cour, de la langue de bois). La langue est une boîte à jouir surprenante.
Les artistes-poètes exposés ici (Ben,
Brecht,
Broodthaers,
Filliou) sont des inventeurs de situations et des fou-rieurs assez hilarants, maîtres en gags à gogo, tendance zen ou yogi gaga, qui, en se tordant de rire, à gorge déployée, déplient et bousculent les codes de la sacrée langue de bois du parler « propre », au profit de la « langue verte » et des « vacherires » de « la vache qui rit ». Meuh meuh, ah, ah, quelle merdre ! L'énergie poïétique (sans tiques) et sans limite, hors limites, abracadabra, charabia, blabla, et polissoneries.
Michel Giroud
Dijon, 31 octobre 2000
Michel Giroud (
Gerwulf /
El Coyote, 1940-2023), « peintre oral et tailleur en tout genre », figure essentielle, inclassable et haute en couleurs de la poésie-action et du monde de l'art, à la fois artiste-performeur, archiviste, éditeur, poète, critique d'art,
historien
et théoricien des avant-gardes (
Dada,
Fluxus et Cie), inventeur de cercles, de clubs, de bulletins, de festivals, de revues et d'entreprises (
Kanal, MMAM, IAM, PTT…), a pratiqué le commissariat d'exposition, l'enseignement en école d'art, la performance et l'actionnisme au quotidien. Il a fondé la collection
L'écart absolu aux Presses du réel, avec la volonté de construire la poésie totalement totale (de
Fourier à
Filliou en passant par
Proudhon,
Brisset,
Satie...).