George Maciunas décomposé, constellé, recomposé : le premier numéro de la revue critique de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Lyon dresse le portrait chinois du fondateur de
Fluxus (en supplément, un DVD contenant un document d'archive sonore historique – la toute première interview de Maciunas, réalisée par
Charles Dreyfus à New York en 1974 –, et le film
Maciunas et Fluxus réalisé à partir d'un workshop conduit par
Michel Giroud avec les élèves de l'ENSBA Lyon).
Personnage multifacettes, né en 1931 en Lituanie, décédé à Boston en 1978, George Maciunas est le premier à inaugurer la galerie de portraits que la revue
Initiales entend dresser à raison de deux numéros par an. Et de fait on s'engouffre avec lui, et à travers lui, dans cet angle mort de l'histoire de l'art, suivant à la trace la trajectoire maintes fois contrariée de ce second couteau à qui l'on doit pourtant d'avoir donné une identité collective à la nébuleuse
Fluxus. Présent partout, visible nulle part, Maciunas graphiste / théoricien / activiste / entrepreneur occupe tout à la fois une place centrale au sein du dispositif collectif, et un poste marginal en regard de l'histoire officielle et de l'immense notoriété des acteurs fluxus :
Cage,
Brecht,
Filliou,
Beuys...
Initiales G.M. : George Maciunas par la bande donc, lui dont le nom était peu à l'affiche – mais qui, comble d'ironie, réalisa une grande partie de l'imagerie
Fluxus. G.M. comme curseur, qui permet de revisiter l'histoire et de jeter des ponts entre une œuvre, une pensée, des pistes explorées ou avortées et nos préoccupations contemporaines. G.M. comme script de ce premier numéro qui pose les fondements d'une réflexion sur la source et la transmission. A cette mécanique souterraine de la revue répondent les analyses historiques, les critiques prospectives, les fictions et les propositions visuelles de ses contributeurs. Artistes, écrivains, théoriciens, historiens, critiques, curateurs apparaissent tous au premier plan, dans un souci de dé-hiérarchisation des régimes d'écriture, pensée en écho à la lecture débridée de l'histoire de l'art à laquelle la revue invite.
Maciunas décomposé, constellé, recomposé: en un mot
réinitialisé. Avec une voix off pour seule trame apparente, qui relie les textes les uns aux autres, à travers le fantôme de ce personnage ventriloqué.
Deux fois par an,
Initiales, revue produite et éditée par l'
Ecole nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) de Lyon, esquisse les contours d'une galerie de « portraits en creux » en s'organisant autour de « figures-source », existantes ou fictives. Des figures d'artistes, philosophes, écrivains, architectes ou cinéastes dont le dénominateur commun est qu'elles ont « fait école » dans leur discipline et au-delà, dans les champs qu'elles ont investis ou traversés. L'œuvre, la pensée mais plus encore les méthodes déployées, les pistes explorées (et parfois avortées) ou les réseaux créés par cette figure de référence servent de sous-texte ou de script à chacune des livraisons.
Réunissant, à partir d'une même figure, une série de contributions centrifuges,
Initiales met ainsi en jeu un usage de la source et une expérience du temps qui ne sont ni ceux de l'historien ni ceux du scientifique, mais qui sont à l'œuvre dans le travail de l'art et qui sont au cœur de la réflexion menée depuis 2004 par le groupe de recherche ACTH (Art contemporain et temps de l'histoire) de l'ENSBA Lyon.
Revue de recherche et de création,
Initiales fait le pari qu'une école d'art est aujourd'hui l'un des lieux les plus aptes à produire et organiser des formes et des pensées nouvelles, susceptibles de venir nourrir le débat et élargir le champ de l'art et de la pensée. A cet égard, c'est une revue d'école, mais dans l'exacte mesure où l'école est un lieu de passage, de rencontre et de collaboration avec de multiples acteurs qui lui sont aussi extérieurs.
Initiales rejoue ainsi en son sein l'hospitalité essentielle et féconde des écoles d'art et s'adresse aussi bien au champ de l'art contemporain et de la création d'aujourd'hui qu'au monde de l'enseignement et de la recherche – et plus largement à toute personne curieuse des opérations à l'œuvre dans la création, la pensée et la culture.
Directeur de la publication et de la rédaction : Emmanuel Tibloux ; rédactrice en chef : Claire Moulène.
Artiste et graphiste américain, George Maciunas est né à Kaunas (Lituanie) le 8 novembre 1931 et décédé à Boston (États-Unis) le 9 mai 1978. Yurgis Maciunas naît d'un père lituanien et d'une mère russe. En 1947, il arrive à New York avec ses parents. Il suit des cours d'art, d'arts graphiques et d'architecture à la Cooper Union School of Art (New York, entre 1949 et 1952), de musicologie et d'architecture au Carnegie Institute of Technology, Pittsburgh (1952-1955) et d'histoire de l'art et d'ethnographie à l'Institute of Fine Arts, New York University (1955-1959). En 1959-1960, il fréquente le cours de Richard Maxfield à la New School for Social Research, où il rencontre
La Monte Young. À partir de 1960, il travaille comme graphiste chez Knoll Associates. À la fin du printemps 1960, il ouvre avec Almius Salcius la galerie AG (les initiales de leurs prénoms) au 925 Madison Avenue. Entre mars et juillet 1961, il présente le programme de concerts
Musica Antiqua et Nova. Il commence à travailler sur la maquette de
An Anthology. En août, il est contraint de fermer la galerie, en raison de problèmes financiers. Il écrit en Europe à Silvano Bussoti, Hans G. Helms et
Nam June Paik. Seul ce dernier lui répond. En novembre 1961, il part en Allemagne, à Wiesbaden, et travaille comme graphiste à
The Stars and Stripes, la revue de l'armée américaine, où il rencontre Emmett Williams qui y est journaliste. Il commence à travailler à la promotion de
Fluxus, qu'il conçoit comme une publication, un collectif d'artistes et un outil destiné à tuer l'art. Entre septembre 1962 et juin 1963, il organise des concerts dans plusieurs grandes villes européennes. Le 3 septembre 1963, il rentre à New York. Là, il s'installe dans un atelier au 359 Canal Street, au-dessous de celui de
Dick Higgins, un Fluxhall/Fluxshop, où il produit des concerts. Influencé par le radicalisme d'Henry Flynt, il dénonce et manifeste contre le concert Originale de Stockhausen le 8 septembre 1964, monté par Allan Kaprow et où participent nombre d'artistes Fluxus ; le conflit ainsi engendré le retranche dans la production de boîtes et publications Fluxus. En 1967, il ouvre avec Robert Watts et Herman Fine
Implosions Inc. pour produire en masse des objets Fluxus. Il commence l'organisation de SoHo, avec l'implantation de coopératives d'artistes dans des immeubles délabrés. En 1975, cette initiative le met en butte avec l'administration municipale. L'année suivante, il est battu à mort par un électricien qu'il n'a pas payé, doit séjourner à l'hôpital et perd un œil. En 1976, il achète une ferme à New Malborough, Massachussetts, dans l'intention encore d'y installer une communauté artistique. En 1977, il est atteint d'un cancer ; Paik et
Beuys organisent un concert pour rassembler des fonds que Maciunas refuse pour payer ses soins. Le 25 février 1978, son mariage avec Billie Hutchins est l'occasion d'un Flux-Wedding.
Voir aussi
Bertrand Clavez : George Maciunas – Une révolution furtive.