Julien Carreyn capture la singularité et l'étrangeté d'un centre culturel dans le cadre d'une résidence.
L'Espace des arts, centre culturel des Pavillons-sous-Bois, en banlieue parisienne, est l'un de ces lieux que Julien Carreyn affectionne, fruit d'une modernité glorieuse abîmée par la succession d'aménagements dictés par l'évolution des normes de bureautique et de sécurité. Durant l'automne 2021, Julien Carreyn a investi cet espace. Chaque jeudi, jour de l'ouverture administrative, il s'est rendu dans ce lieu devenu son atelier, accompagné d'amis et de modèles.
Le livre rend compte de cette expérience, interprétée par la directrice artistique Myriam Barchechat qui organise les photographies, comme un jeu de puzzle. Dans un précédent ouvrage,
Le Moulin des Ribes, Julien Carreyn répertorie un espace où règnent l'ordre et la beauté. Les personnages et les éléments s'y trouvent en dialogue et en harmonie, reflétés dans les tableaux et les jardins. L'Espace des arts est à l'inverse un huis clos où la réalité est plus tortueuse. Dans ce lieu vide se joue un spectacle secret. En tournant les pages, on devine une trame, un conflit, mais on reste incapable de faire la différence entre les personnages, les acteurs et les figurants. On se doute qu'ils ignorent eux-mêmes les détails du scénario.
Julien Carreyn travaille ici sur les méandres du lieu. Le spectre de Mondrian apparaît entre une table et une chaise de bureau, des vitrines entreposées rendent l'espace incertain et convoquent le souvenir d'une galerie des glaces en cours d'assemblage. Les mannequins semblent occupés à donner la mesure du lieu, tandis que le personnel semble chargé de tâches occultes. Des taches lumineuses apparaissent sur un portrait, sans que l'on sache s'il s'agit d'une aura spirite ou d'un défaut du Polaroïd.
Tout le travail de Julien Carreyn réside dans cette utilisation ambiguë de la tautologie. Pour nous montrer l'espace des arts, il photographie littéralement L'Espace des arts, masquant la question sous l'évidence de faits invérifiables. Cet Espace des arts est un territoire intemporel partagé par des personnages antagonistes. Des animaux les observent. Des événements prodigieux peuvent s'y produire ou non. Et nous ne savons pas à la fin qui sont les intrus et si nous ne sommes pas leurs complices.
Lycéen, Julien Carreyn (né en 1973 à Angers, vit et travaille à Paris) découpait des photos dans la Gazette Drouot ou dans le Courrier de l'Ouest, et il remplissait de cahiers ces images trouvées. Il les organisait en chemins de fer, méthodiquement mais spontanément, et c'était avant de connaître Hans-Peter Feldmann. DJ, quelques années plus tard, il était à la recherche de l'enchaînement le plus juste, de la séquence musicale permettant d'apporter surprise, rupture mais aussi fluidité. La cassette parfaite, c'était son obsession et celle de ses amis. Un enchaînement sonore et mental procédant de la concaténation, c'est-à-dire de l'action de mettre à bout au moins deux chaînes, AB BC CD... Lorsqu'il s'est agi de prolonger à la fois cette recherche de l'enchaînement parfait et cette quête infinie d'images, c'est-à-dire de travailler pour se constituer son iconographie, une règle s'est imposée : il devait être l'auteur de toutes ses images. La question des images trouvées et de leur usage ayant peut-être définitivement réglée par Feldmann ou
Richard Prince, il lui fallait trouver une voie qui impose une puissance créatrice, une vitalité. Quelque chose ayant à voir avec une certaine idée de l'artiste comme surhomme, qui permettrait de réconcilier, selon l'utopie nietschzéenne, le rationnel et le passionnel. Quelque chose comme un nécessaire passage à l'acte. Alors Julien Carreyn s'est appliqué avec beaucoup de persévérance, et un brin d'obsession, à produire un corpus d'images (
photos et
dessins) de plus en plus dense, explorant des territoires aussi variés que l'est sa culture transversale de l'image et qui englobe aussi la bande dessinée
érotique des années 70, les manga, l'illustration jeunesse...
A l'instar des œuvres mystérieuses du symboliste belge Fernand Khnopff – compositions peuplées de femmes hiératiques, inaccessibles et au regard trouble, ou paysages renvoyant au monde du rêve –, les images de Julien Carreyn évoquent un passé disparu, englouti dans le vague des souvenirs.
L'artiste photographie des modèles qu'il fait poser dans des intérieurs saturés d'objets à haute valeur culturelle et symbolique. S'en suit un long travail d'atelier solitaire et minutieux pour faire naître, par le biais de techniques d'impression obsolètes, des dessins et des photographies qui sont ensuite assemblés en séries et disposés sous vitrine tels des vestiges culturels.
Julien Carreyn a un désir d'imaginaire et d'esthétisme. Particulièrement intéressé par des techniques de reproduction anciennes et/ou rudimentaires, il a choisi de privilégier le dessin en tant que processus créatif pour tenter de créer un nouveau langage.
Boulimique et érudit, c'est par la fusion de références multiples qu'il produit des œuvres à l'aspect faussement désuet, mêlant l'abstraction à la figuration, associant un certain réalisme fragmenté aux images subconscientes et aux rêves, et ayant la particularité de rester parfaitement ouvertes.
Julien Carreyn a notamment participé à des expositions à la Fondation d'Entreprise Ricard à Paris (Une Expédition, commissariat de Stéphane Calais, 2009), au Mac/Val de Vitry-sur-Seine (collection du FRAC Ile-de-France, 2008) et au
Cneai de Chatou (Salons boudoirs et antichambres, 2002). Il a publié plusieurs livres d'artistes, dont
Les Demoiselles de Vienne en collaboration avec Pierre La Police (Editions Cornélius, Paris, 2008).