Ce que l'art doit aux oiseaux.
Grâce à leur chant, sinon leur cri, les oiseaux s'entendent plus souvent qu'ils ne se voient. Ils sollicitent notre ouïe plutôt que la vue et, maintes fois, malgré notre volonté de les apercevoir, on ne les repère jamais. Il y a les oiseaux d'eau, des savanes et des prairies, il y a ceux des forêts, mais aussi ceux des villes et des jardins. Parmi eux, se trouvent les passereaux – les oiseaux chanteurs – le groupe le plus répandu dans le monde. Selon leurs espèces, leurs vocalises varient du chant mélodieux du merle ou de l'hirondelle aux croassements parfois criards du corbeau ou de la corneille. Malgré tout, leur intrusion sonore participe au sentiment que la vie est agréable. Que ce soit en babillant, chantant, gazouillant, jabotant, piaillant, piaulant, ramageant, ces animaux ailés contribuent par la musicalité du monde au bien-être humain.
Produit en 2016, un documentaire intitulé
Le silence des oiseaux (SongbirdSOS Productions inc. & Fils à Cinq) rappelle que le déclin des sonorités variées que produisent les oiseaux constitue un signal de la situation du vivant à l'ère de l'Anthropocène. Sous-titré
Imaginez un monde privé de chants d'oiseaux… ce film reconnaît l'importance de la race aviaire pour la biodiversité de la nature alors que plusieurs menaces concourent à leur régression partout sur la planète. Les causes de leur décroissance s'avèrent multiples. Sans surprise, il y a l'agriculture intensive de nos sociétés industrialisées et le réchauffement climatique qui perturbent les saisons et affectent le phénomène migratoire ; mais il y aurait aussi, selon des études récentes transmises notamment par l'association QuébecOiseaux, les chats domestiques responsables, au Canada seulement, de la perte de 100 000 à 375 000 oiseaux par année.
D'un point de vue humain, certaines espèces sont considérées comme nuisibles, surtout lorsqu'il s'agit de protéger les semis, voire notre mode de vie. C'est ce qu'évoque l'artiste Graeme Patterson dans
Étranges oiseaux (2018-2024), une installation présentée récemment au Musée des beaux-arts Beaverbrook, à Fredericton (Nouveau-Brunswick), et qui rappelle comment les étourneaux peuvent devenir une espèce envahissante. Dans un projet antérieur,
Fenced In (2017), Patterson les représente déjectant leur fiente dans des piscines. S'adaptant à différents milieux, cette espèce d'oiseaux, réputée hautement sociale, met en évidence la difficile cohabitation de certaines bêtes à plumes avec notre façon d'habiter le monde. Toujours du même artiste, une série de sculptures ayant pour nom
Ghost Birds (2019) montre les empreintes fantomatiques d'oiseaux ayant percuté une fenêtre. Ces collisions soulignent en quoi notre appropriation du territoire, surtout en zone périurbaine, reste aussi une cause importante de la perte de milliers d'oiseaux.
De tout temps, les oiseaux ont stimulé notre imaginaire. Selon divers mythes et croyances, ils annoncent de bons ou de mauvais présages. Dans plusieurs récits, l'oiseau symbolise moins une menace qu'un messager. Il participe entièrement à la célébration du monde. En Occident, toutefois, la pensée métaphysique a fait de l'être humain une exception anthropologique. Ce n'est que depuis peu qu'une sensibilité nouvelle s'est éveillée au souci du monde et notamment à ce trésor inestimable que représente le chant de ces animaux ailés. Diffusé lors du Festival International du Film sur l'Art en 2023 et intitulé
La langue des oiseaux (Baldanders Films, 2022), un documentaire d'
Érik Bullot raconte une histoire qui nous projette dans un futur où les oiseaux ne consistent plus que des archives d'un temps passé. Ce docu-fiction montre des hommes et des femmes essayant de traduire par imitation la langue des oiseaux. Or, malgré le sérieux qui guide leur tentative de communication, leur chant reste inimitable. Cet effort de transposition semblerait plutôt la métaphore d'un rapprochement nostalgique avec des sons qui, pour nous, vivants d'aujourd'hui, risquent bientôt de manquer.
S'il est en effet impossible de nier le déclin de certaines espèces aviaires, l'historienne de l'art
Bénédicte Ramade, responsable de ce dossier, a surtout voulu susciter notre intérêt sur celles en vie. Elle rappelle que plusieurs créateur·rice·s, soucieux·euses des oiseaux qui restent, « veillent, écoutent, regardent et transmettent ces mondes sensibles ». Ainsi, au lieu de focaliser sur leur disparition, on se doit de plonger « dans l'émerveillement que procure leur profonde différence ». Selon les artistes Richard Ibghy et Marilou Lemmens, nous vivons « une situation où l'on doit radicalement réinventer nos relations avec les plus qu'humains ». Et même si ce besoin de « nourrir de nouvelles façons de sentir, de penser et, en particulier, d'interpréter nos interdépendances » se trouve souvent freiné par l'esprit rationaliste, tous les textes de ce dossier « rappellent l'importance d'entretenir l'espoir, ne serait-ce qu'à travers le maintien d'une attention curieuse et soignée envers notre environnement ».
André-Louis Paré