Réinitialiser Baldessari
Claire Moulène
(p. 4)
Après avoir tenté d'éclairer l'angle
mort qu'occupa l'imprévisible
George Maciunas dans l'histoire
Fluxus,
la revue
Initiales met le cap
sur une figure solaire qui irradia
la côte Ouest des États-Unis
et bien au-delà: John Baldessari.
Un personnage aux antipodes du
premier donc, et une nouvelle donne
de taille pour cette revue qui tente
de s'immiscer dans les brèches de
l'histoire de l'art et les percées
de l'historiographie prospective.
Chez J.B. tout est offert, tout
a été décortiqué, épluché, disséqué.
Depuis le bûcher originel de son
Cremation project qui pose les bases
du mythe, jusqu'aux peintures pop
conceptuelles en passant par ce que
Marie De Brugerolle — qui signe ici
un stupéfiant parallèle entre l'œuvre
de Giotto et celle de
Baldessari —
qualifie de « scénarimages ».
Cette nouvelle règle du jeu,
indexée en prime sur un contact
permanent avec le studio
Baldessari
qui nous a fourni bon nombre
d'images et d'informations, suppose
en fait une plus grande rigueur.
Car l'échiquier, lui, reste le même:
ce numéro, comme ceux à venir,
se constitue comme des monographies
augmentées qui prennent appui sur
une figure, une œuvre, un environnement,
pour mieux faire assaut
du contemporain.
Travailler avec et sur un artiste
vivant dont l'œuvre toujours vivace
continue d'innerver des générations
de plasticiens, tout en gardant
nos distances et en nous autorisant
des sorties de route parfois
audacieuses, voila le défi de cet
Initiales J.B.
Coopératif, généreux,
John Baldessari a ouvert grand
les portes de sa banque d'images,
allant jusqu'à créer une œuvre spécifique pour la revue: ce poster
inédit et bavard, pensé comme
un parchemin inséré dans chaque
numéro. Mais la façon qu'il a
de traduire à l'économie certaine
de ses positions, ces ellipses
si caractéristiques de son travail
(qu'il s'agisse de ses peintures
à texte ou de ses statements
aujourd'hui regroupés dans une
anthologie
(1) dont nous publions
ici un extrait) nous ont aussi
grandement facilité la tâche, qui
laissent place à d'autres lectures
de l'œuvre et du personnage.
Volontairement, nous avons
rendu plus visible l'architecture
de ce deuxième numéro. Suivi dans
un premier temps les diversions
et les remous de « l'anti-pédagogie »
baldessarienne telle qu'il l'a mise
en pratique au sein de CalArts.
Et la façon dont elle a fait école
depuis. Tenté dans un deuxième
chapitre de décrypter la recette
de cette œuvre qui se construit
par fragmentation, par collages
et montages successifs exactement
comme la bande passante du cinéma.
Exactement comme le cinéma de
Godard
à qui
Baldessari rend un hommage
appuyé mais aussi ironique. Avant
de nous intéresser dans un troisième
temps au contexte de production
de John Baldessari et à la place
tout à fait inédite qu'il occupa
dans le champ de l'art, à la croisée
de la côte Ouest et de la scène
new-yorkaise, des États-Unis
et de l'Europe, d'une tradition
pop et d'un héritage conceptuel.