«TRANSIT explicite le fonctionnement de la série des « définitions/méthodes » pile ou face et le radicalise, ces oeuvres sont constituées de toiles posées directement sur le sol et appuyées contre le mur.
Dans une « définition/méthode » comme pile ou face, l'oeuvre se présente à travers deux formes complémentaires: une pile d'un peu plus de 40 toiles qui permet d'actualiser x d/m nommées dans le texte, et l'actualisation de l'une d'elles.
Le titre pile ou face énonce la réalité de l'oeuvre, son fonctionnement : il n'y a plus un temps pendant lequel l'oeuvre est exposée et un autre pendant lequel elle serait stockée, à l'abri des regards. Il énonce la permanence de l'oeuvre dans ses allers et retours incessants d'un état à l'autre. Un fois constituée l'oeuvre existe, quelle que soit sa posture, qu'elle soit pile, qu'elle soit face, l'oeuvre est présente, sans réserve.
Dans TRANSIT aucune toile n'est peinte de la même couleur que le mur ni accrochée, il n'y a plus de hiérarchie, seulement des différences. TRANSIT est une oeuvre, une oeuvre en réserve et une réserve d'oeuvres.
TRANSIT inclut en temps réel les mouvements qui la constituent. Elle s'actualise en permanence.
Pour toute actualisation d'une définition/méthode les toiles utilisées passent obligatoirement par TRANSIT et y reviennent.
TRANSIT assure le continu de l'oeuvre, la présence de chaque d/m entre sa dernière actualisation et la prochaine. Toute anticipation est impossible.
TRANSIT est le versant matériel du TEXTE de la d/m. Leur conjonction maintient les utopies, laissant de temps en temps l'un ou l'autre s'échapper.
TRANSIT c'est l'oeuvre au travail (...).»
C.R.
Claude Rutault (1941-2022) est un peintre conceptuel français dont l'ensemble de l'œuvre vise à une déconstruction générale des modes d'existence du tableau.
Claude Rutault ne réalise pas ses toiles lui-même, il ne les fait pas fabriquer dans son atelier, il ne supervise pas ses accrochages, il rédige par contre un ensemble de consignes, d'instructions et de recommandations appelées « définitions/méthodes ». Celles-ci sont méticuleusement suivies par un collectionneur, un musée ou une galerie qu'il appelle les « preneurs en charge » et qui s'attellent à les « actualiser ».
L'origine de sa réflexion naît en 1973, lors de la mise en peinture des murs de sa cuisine, pendant son aménagement dans sa nouvelle maison. Il repeint dans la foulée une des toiles qui s'y trouve pour la raccrocher ensuite. Depuis, il réfléchit et approfondit la portée de son acte. Sa première « dé-finitions/méthodes » (1973) porte le numéro 1 : toile à l'unité « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. Sont utilisables tous les formats standards disponibles dans le commerce, qu'ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales. L'accrochage est traditionnel. »
Ses toiles ont une durée de vie limitée. En effet, si le « preneur en charge » vient à décider de la déplacer ou de repeindre le mur sur lequel elle est accrochée, il sera obligé d'en faire de même pour la toile et lui donnera par conséquence une nouvelle identité, il la « réactualise ». Les consignes des « définitions/méthodes » sont claires, courtes et simples. Leurs exécutions dépendent uniquement du « preneur en charge ». Leurs interprétations, le suivi des consignes, les formes, les couleurs, l'emplacement, le contexte, participent à l'absence de maîtrise que Rutault a sur elles. Ces paramètres sont imprévisibles, liés uniquement au « preneur en charge » et ne peuvent pas être anticipés. Si ses toiles évoluent de manière imprévue, le « preneur en charge » devra en avertir Rutault.
Au fil de temps, il a dû accepter que ses toiles aient leurs propres chemins et leurs propres existences. Elles évoluent sans balises, sans contrôle de sa part. Ses « définitions/méthodes » ont décrit la naissance de centaines de toiles dont il n'est plus responsable au fil du temps qui passe.