extrait
Préface – Eva González-Sancho (Directrice du Frac Bourgogne)
Les processus d'individuation ne
s'effectuent qu'au sein du groupe,
comme on ne peut déceler les
écarts, les vides, qu'au sein d'un
ensemble d'éléments. L'œuvre de
Gitte Schäfer, ou plutôt l'addition
des strates (formelles, historiques,
culturelles) qui la compose, participe
en grande partie de ce postulat
déductif. Lors de son exposition
au Frac Bourgogne, nous avions le
sentiment d'approcher progressivement
un paysage : une série de
mâts fabriqués à partir d'objets
divers superposés se dressait avec
élégance et mystère ; ces mâts se
côtoyaient comme les arbres d'une
même forêt. Circonscrits par des
tableaux et autres assemblages au
mur – plus ou moins sculpturaux
d'ailleurs –, ils formaient un ensemble
de choses aussi diverses
qu'atemporelles ; un maillage fantastique
et laborieux, à la fois artisanal
et s'inscrivant ouvertement
dans l'histoire du ready-made.
Il relève d'un certain engagement
de parier sur le processus d'élaboration
d'une œuvre qui semble
à mon sens s'optimiser dans son
déploiement spatial où l'exposition
d'une multitude de pièces, à
leur tour composites, permet d'en
savourer pleinement la richesse.
La présentation de l'œuvre de
Gitte Schäfer n'a pourtant pas à
ce jour radicalisé le parti pris du
regroupement. Tantôt ses mâts et
autres nombreuses pièces ont pu
faire l'objet d'une exposition « de
groupe », tantôt ils ont été « individualisés
» pour offrir une autre
forme de contemplation, plus caractérisée
et probablement plus
affective, exclusive, personnelle. En ce sens, l'œuvre pose la question
de sa lecture dans un environnement
privé et dans le contexte
d'une présentation plus globale
et de surcroît publique, question
laissée volontairement ouverte par
l'artiste, à chacun d'en évaluer la
portée…
Au-delà de ce premier point (la
présentation publique ou privée,
collective ou individuelle de l'œuvre
de Gitte Schäfer), il est sans
doute aussi question de notre propre
regard sur l'art et de nos objets
de désir : leur histoire, les espaces
sur lesquels nos yeux se posent
(l'Occident, l'Asie, l'Afrique ou
ailleurs), notre condition sociale
et culturelle en tant que regardeur,
comme pour mieux souligner le
croisement des cultures savantes
et populaires, du monde de l'art et
du champ de l'artisanat, sans jugement
ni condescendance.
Une sorte de générosité jaillit de
l'œuvre de l'artiste car, précis et
précieux, chaque objet peut être
à nous. La présente publication
– tout comme l'œuvre de l'artiste –
est aussi généreuse dans les points
de vue et interprétations qu'elle
nous offre. Elle a été construite
comme un outil de découverte et de
connaissance, avec l'ambition que
notre regard d'adulte s'éprenne de
la curiosité et de l'émerveillement
qu'elle ranime.
(...)