Hand in Hand, le nouvel album de Félicia Atkinson, peut-être envisagé comme la suite logique et étendue de son précédent opus,
A Readymade Ceremony, acclamé par la critique lors de sa sortie sur Shelter Press en 2015
. Hand in Hand répond aussi à
Comme Un Seul Narcisse, son disque collaboratif avec le musicien new-yorkais Jefre Cantu-Ledesma, publié aussi par Shelter Press en 2016.
Composé et enregistré durant l'année 2016 entre la Bretagne et les studios légendaires EMS pris par la neige à Stockholm,
Hand in Hand est à ce jour l'œuvre musicale la plus ambitieuse de Félicia Atkinson.
Ici, doute et optimisme sont les deux faces d'une même pièce.
Hand in Hand cherche ainsi synchronicité et opposition dans l'aridité et la chaleur de ses sons : les jours peuvent être brûlants et les nuits deviennent glacées. Les coyotes échangent leurs plaintes avec les serpents à sonnette, alors que les lièvres se cachent. Les fréquences de synthétiseurs modulaires (Buchla, Serge) accompagnent les rythmes et drones minimaux, alors que les histoires chuchotées par LA Voix passent ainsi lentement de la fiction à la réalité.
Des ondes électroniques s'échappent des présences vivantes et cyborgs, semblant transmettre parfois des sons et fréquences que seuls les non-humains – végétaux ou machines – peuvent entendre. Elles vibrent et se répandent au delà des murs et des interdictions.
Ici, ou comme dirait Huysmans
Là-bas, l'auditeur se love dans un espace émotionnel particulier. À la fois intérieur et extérieur, cet espace se dessine où l'écoute et le silence deviennent solides et actifs, une écoute comme un objet minéral et sanguin, conscient de l'univers en expansion qui l'entoure. Plantes, galaxies, animaux, machines, main dans la main :
Hand in Hand.
Le nouvel album de Félicia Atkinson tente ainsi de proposer à travers le support du disque un espace de communauté de pensée et d'écoute, à la fois abstrait et multiple, qui embrasserait tour à tour les ombres triviales, essentielles, sensibles et mystérieuses d'un roman d'anticipation de
Philip K. Dick ou d'une sculpture de
Guy Mees.
Le titre inaugural,
I'm Following You (Je Te Suis) est une ballade oxydée pour clavier Fender Rhodes, qui serait le générique idéal d'une romance martienne. Dans,
Visnaga, Atkinson invoque à travers des voix
ASMR, des field recordings et des cordes évasives les ressources essentielles et magiques du cactus éponyme du désert de Mojave.
A House A Dance A Poem est un hymne féministe composé en une structure pyramidale, en prenant comme modèle les positions triangulaires du Yoga, la première lettre de l'alphabet romain, la structure en A des chalets en bois, et la représentation graphique du sexe féminin. Dans le morceau final,
No Fear But Anticipation (Sans peur mais avec anticipation), Félicia Atkinson ouvre son cœur et ses inquiétudes à travers une complainte existentialiste qui plaide la nécessité de produire constamment du désir, même lors des temps les plus sombres, révélant ainsi avec émotion un hymne télépathique et anti-scolastique pour Joan Didion, Don Dellilo et Jean-Paul Sartre. Les sons de Buchla qui viennent clore le disque semblent alors livrer un message indicible que seuls les oiseaux et les aliens pourraient comprendre.
Dans
Hand in Hand, l'esthétique anxieuse et surnaturelle des années 80 résonne et dialogue avec la transparence des sons digitaux actuels. C'est bien La Voix qui orchestre la rencontre et la cohabitation de sons midis à la texture nette des ondes sinusoïdales des synthétiseurs historiques Serge et Buchla.
La Voix, cet instrument humain, apparait ainsi comme l'épicentre de l'enregistrement, créant son propre système extra-solaire.
Joan La Barbara, Robert Ashley ou Delia Derbyshire sont sûrement les influences principales pour la conception de ce disque, dans la manière où chacun d'entre eux convoquaient fiction, composition et abstraction.
Les paroles et textes de
Hand in Hand sont collectés et réécrits depuis différentes sources concrètes, comme les livres de jardinage et manuels d'architecture des années 70, des numéros de
Desert magazine, mais aussi de phrases glanées chez
J.G. Ballard et K. Dick, et depuis aussi les propres publications de Félicia Atkinson.
Musicienne, artiste sonore et visuelle, Félicia Atkinson est née en 1981 à Paris et vit sur la côte sauvage de la Normandie. Elle compose de la musique depuis le début des années 2000. Elle a sorti de nombreux disques et un roman sur
Shelter Press, le label et éditeur qu'elle co-dirige avec Bartolomé Sanson.
Pour Félicia Atkinson, les voix humaines habitent une certaine écologie à côté et au sein de bien d'autres choses qui ne parlent pas : paysages, images, livres, souvenirs, idées...
La compositrice électroacoustique et artiste visuelle française crée des œuvres plastiques et sonores qui animent ces autres voix possibles en conversation avec la sienne, en associant des enregistrements de terrain, des instruments MIDI et des extraits poétiques en français et en anglais, des installations en tissus, du dessins sur papier et toile, des sculptures en argile. Félicia Atkinson utilise la composition musicale et l'installation plastique comme un moyen de traiter la vie imaginative et créative en créant une sorte d'atelier-monde, chez elle et dans les paysages qu'elle traverse. Ainsi, ses compositions en strates énonces des histoires abstraites qui s'étirent et plient alternativement le temps et l'espace, dont l'artiste peut être la narratrice sans en être forcement la protagoniste.
Félicia Atkinson a collaboré avec des musiciens tels que
Jefre Cantu-Ledesma, Chris Watson, Christina Vantzou et
Stephen O'Malley, ainsi qu'avec des ensembles tels que Eeklekto (Genève) et Neon (Oslo). Elle s'est produite dans des salles et festivals tels que INA GRM/Maison de la Radio et la Philharmonie (Paris), Issue Project Room (NYC), le Barbican Center (Londres), Le Guess Who (Utrecht), Sonic Acts (Amsteerdam), Atonal (Berlin), Henie Onstad (Oslo), Unsound (Cracovie) et Skanu Mesz (Riga)... Son travail a été commandé par des cinéastes (
Ben Rivers, Chivas de Vinck) et des maisons de couture (Prada, Burberry). Elle a exposé dans des musées, des galeries et des biennales, notamment la Biennale RIBOCA (Riga), Overgaden (Copenhague), BOZAR (Bruxelles), La Criée (Rennes) , Kunsthaus Bethanien Kreuzberg (Berlin), l'Espace Paul Ricard (Paris) et MUCA ROMA (Mexico).