Le cinquième numéro de la revue d'art et de recherche « rétro-prospective » est consacré à l'artiste et performeuse Andrea Fraser, figure clé de l'art des années 1990 et 2000 et du courant de la « critique institutionnelle » (une monographie complétée par une grande enquête sur l'espace critique réalisée auprès d'une cinquantaine d'artistes, critiques et philosophes internationaux).
Deux fois par an, Initiales, revue produite et éditée par l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) de Lyon, esquisse les contours d'une galerie de « portraits en creux » en s'organisant autour de « figures-source », existantes ou fictives. Des figures d'artistes, philosophes, écrivains, architectes ou cinéastes dont le dénominateur commun est qu'elles ont « fait école » dans leur discipline et au-delà, dans les champs qu'elles ont investis ou traversés. L'œuvre, la pensée mais plus encore les méthodes déployées, les pistes explorées (et parfois avortées) ou les réseaux créés par cette figure de référence servent de sous-texte ou de script à chacune des livraisons.
Réunissant, à partir d'une même figure, une série de contributions centrifuges, Initiales met ainsi en jeu un usage de la source et une expérience du temps qui ne sont ni ceux de l'historien ni ceux du scientifique, mais qui sont à l'œuvre dans le travail de l'art et qui sont au cœur de la réflexion menée depuis 2004 par le groupe de recherche ACTH (Art contemporain et temps de l'histoire) de l'ENSBA Lyon.
Revue de recherche et de création, Initiales fait le pari qu'une école d'art est aujourd'hui l'un des lieux les plus aptes à produire et organiser des formes et des pensées nouvelles, susceptibles de venir nourrir le débat et élargir le champ de l'art et de la pensée. A cet égard, c'est une revue d'école, mais dans l'exacte mesure où l'école est un lieu de passage, de rencontre et de collaboration avec de multiples acteurs qui lui sont aussi extérieurs. Initiales rejoue ainsi en son sein l'hospitalité essentielle et féconde des écoles d'art et s'adresse aussi bien au champ de l'art contemporain et de la création d'aujourd'hui qu'au monde de l'enseignement et de la recherche – et plus largement à toute personne curieuse des opérations à l'œuvre dans la création, la pensée et la culture.
Directeur de la publication et de la rédaction : Emmanuel Tibloux ; rédactrice en chef : Claire Moulène.
Très influencée par la pensée de Pierre Bourdieu (qui signa la préface de son anthologie de textes) et porte-parole d'une critique institutionnelle « deuxième génération », qui après les travaux menés par Daniel Buren, Hans Haacke ou Michael Asher, a élargi la réflexion à d'autres espaces et acteurs institutionnels, ainsi qu'à des méthodologies empruntées à d'autres champs, Andrea Fraser (née en 1965 à Billings, Montana, vit et travaille à Santa Monica, Californie) fait partie de ceux qui, au tournant des années 2000, s'est interrogée sur la réconciliation entre la question des affects, du sujet, et celle de l'institution.
Cette question centrale dans le travail de Fraser s'incarne chez elle, dans les changements d'identité et les attributs dont elle se pare : costume strict et « genré » de médiatrice de musée (Museum Highlights, 1989) ; tenue d'Eve quand elle se vend, littéralement, à son collectionneur (Untitled, 2003) ; visage nu et en pleurs quand ce sont ses affects d'artiste qu'elle met en pâture chez son psychanalyste (Projection, 2008). A travers ses textes et performances, Andrea Fraser décortique les mécanismes à l'œuvre dans le champ de l'art, son contexte économique, social et politique pour mieux en révéler les ressorts cachés.