Avant-propos
par
Christophe Cherix et
Valérie Mavridorakis (p. 8)
Cette « première période » des écrits de l'artiste, allant de 1965 à 1973, apporte donc un double témoignage : tout d'abord un regard aigu, en prise directe avec l'art américain des années 1960, d'autre part la genèse d'une œuvre personnelle. À ce titre, cet ouvrage fournit un matériel de première importance pour l'historiographie de ce moment. Le corpus des notices critiques permet de mesurer la profusion des pratiques artistiques qui animaient alors la scène new-yorkaise, par-delà les courants et les mouvements que l'histoire de l'art a figés. Si des noms familiers retiennent l'attention — ceux de Judd, de Frank Stella ou de
Robert Rauschenberg —, nombre des artistes évoqués nous sont beaucoup moins connus. Leur actualité a pu être brève, leur oubli pourrait s'avérer injuste. Quoi qu'il en soit, cet inventaire partiel des expositions de 1965 et 1966 laisse entrevoir les tendances, les effets de mode, les maniérismes qui participaient de l'air du temps. Il permet également d'assister à l'apparition d'œuvres déterminantes — entre autres celles de
Larry Bell, d'Eva Hesse, de
LeWitt, de Flavin et de
Robert Smithson. Dans ces revues, le jugement de Bochner se montre toujours incisif, parfois sévère. Il faut toutefois reconnaître qu'il ne s'est pas trompé sur la qualité des œuvres qui lui paraissaient significatives et qui ont depuis lors acquis une valeur historique. On notera par ailleurs que sa critique inflexible s'applique tout aussi bien à des artistes déjà confirmés (tels que Stella et Joseph Cornell, pour ne citer que deux cas très distincts) qu'à des œuvres plus marginales. À travers l'émergence de l'art minimal notamment, et au fil de l'analyse de certaines expositions marquantes (
Primary Structures,
Art in Process,
Systemic Painting,
Eccentric Abstraction), les intuitions de Bochner s'affirment et se développent théoriquement. En ce sens, ses textes ont acquis une importance historique majeure : ils accompagnent et étayent les prémices du minimalisme, puis du post-minimalisme, et montrent combien cette rapide évolution a contribué de façon radicale à déplacer et à redéfinir la notion d'art.