La première édition des « poèmes métaphysiques » de Julien Blaine.
Ici, le poème est réduit à sa plus simple expression : deux énoncés bruts (un mot, une image) séparés d'un double trait. Le sens – multiple – de chaque poème est dans ce qui ressort de la confrontation des deux énoncés.
Ici, Métaphysique est à prendre dans un sens non pas mystique, mais de « philosophie première » : l'étude de ce que nous apprend (de certitude comme de mystère – le mystère étant ici une forme de savoir) notre relation à notre environnement. Le trait séparant les mots est à la fois séparation et conjonction de coordination.
Pour Julien Blaine, ces poèmes métaphysiques sont une méthode pour lire le monde – méthode qu'il offre au lecteur, comme expérience de lecture en partage :
Simplement pour dire
qu'en ouvrant l'œil
Simplement pour dire
qu'en ouvrant l'œil
Vous verrez des Poëmes métaphysiques
– au quotidien – partout :
dans les trains, dans les aéroports, dans les
hôpitaux, dans les forêts, sur les routes…
dans les notices, les modes d'emploi, les
posologies, les plans, les lexiques, les cartes, les guides…
et ailleurs encore…
Cette première édition retrouvée a été publiée en 1986 aux Éditions Évidant. Quatre ans plus tard chez le même éditeur, Julien Blaine publie
Bimot, dans une continuité radicalisée des poèmes métaphysiques – édition intimiste, puisque la diffusion de ce livre sera interrompue du fait de la faillite de l'éditeur. C'est en 2011 que fut publié la seconde édition de
Bimot (aux éditions
Al Dante), sorte de synthèse qui regroupe un choix des deux ouvrages, ainsi que certains poëmes métaphysiques créés ultérieurement.
Dès le début des années 1960, Julien Blaine (né en 1942 à Rognac, vit et travaille à Marseille) propose une
poésie sémiotique qui, au-delà du mot et de la lettre, se construit à partir de signes de toutes natures. Forcément multiple, il se situe à la fois dans une lignée post-
concrète (par son travail de multiplication des champs sémantiques, en faisant se côtoyer dans un même espace des signes – textuels, visuels, objectals – d'horizons différents) et post-
Fluxus (dans cette attitude d'une poésie comportementale, où est expérimentée à chaque instant la poésie comme partie intégrante du vécu). Mais avant tout, la poésie s'expérimente physiquement : elle est, d'évidence,
performative. Ses performances sont nombreuses, qui parfois le mettent physiquement en péril (
Chute, en 1983, où il se jette du haut des escaliers de la gare Saint-Charles à Marseille : violence de cette dégringolade incontrôlable, et la réception, brutale, au sol, quelques centaines de marches plus bas… puis Julien Blaine met son doigt sur la bouche et, sous l'œil d'une caméra complice cachée parmi les badauds médusés, murmure : « chuuuuut ! »). Mise en danger du corps, et mise en danger du poète, qui toujours oscille entre grotesque et tragique, dans une posture des plus fragile, car « le poète aujourd'hui est ridicule ». Performances, livres, affiches, disques, tract, mail-art, objets, films, revues, journaux… sa production est multiple, mêlant éphémère et durable, friable et solide. Pas un outil, un médium qui ne lui échappe. Mais rien qui ne soit achevé, arrêté. Car pour Julien Blaine la poésie est élémentaire, tout ce qu'il produit est fragment, indice d'un travail toujours en cours, document d'un chantier poétique à chaque instant renouvelé. Tous ces « résidus » doivent être lus en soi et en regard de ce qui nous entoure.
Blaine fut le cofondateur de
Libération avec ses amis de l'
Agence de Presse Libération et de
Géranonymo, directeur de
l'Autre-Journal avec son ami Michel Butel, fondateur de
Doc(k)s, la revue internationale des poésie d'avant-gardes.
Sous son patronyme Christian Poitevin, il fut adjoint à la culture à Marseille de 1989 à 1995.
Et sous le nom de Jules Van, il procéda à l'art du boycott, du vol, de la perruque et du sabotage ici & là.