Trouble n° 6 propose de reconsidérer la fonction célébrative de l'art, dans ses relations
a priori antinomiques avec les pratiques critiques, autour de Jeff Koons,
Pierre Huyghe,
Ben Kinmont, Tom Marioni,
John Armleder...
Alors que de nombreux essais sur l'art contemporain remettent aujourd'hui en cause le désenchantement postmoderniste, en le considérant comme la conséquence d'une erreur de lecture du modernisme, ce constat s'accompagne d'un intérêt renouvelé pour certains enjeux des avant-gardes historiques, dont les pratiques célébratives et communautaires accompagnaient l'idéal politique. Au même moment, plusieurs œuvres récentes jouent, rejouent ou génèrent un rapport au spectateur sous la forme de la célébration. Celle de
Francis Alÿs,
The Modern Procession (2002)
, prit la forme d'un défilé dans les rues de New York où des copies et des reconstitutions vivantes d'œuvres canoniques étaient portées en triomphe comme des trophées. Celle de
Pierre Huyghe,
Streamside Day (2003), est une journée de célébration inscrite au calendrier d'une ville nouvelle de l'état de New York. Ces deux œuvres impliquent une communauté : la communauté artistique dans les rues de New York et celle, nouvellement constituée, d'une ville en construction. Si la première reprend des formes de procession religieuse, la seconde planifie un cycle d'événements qui tente d'initier une nouvelle coutume. On pourrait ajouter à cette liste les
Monuments ainsi que le
Musée Précaire Albinet de
Thomas Hirschhorn, qui en 2004, déplaça du Centre Pompidou vers un bâtiment précaire de la banlieue parisienne un choix d'œuvres issues des avant-gardes pour en éprouver leur validité et leur capacité à activer une énergie au sein d'une communauté locale rassemblée autour de ce projet.
La définition primordiale de l'art moderne (jusqu'à aujourd'hui) tient dans le terme de critique, au sens d'une constante analyse transgressive des acquis du passé, mais la réalité de l'inscription de l'art dans la culture au XXe siècle tend de plus en plus à faire passer ce maître-mot de critique pour un paravent bien mince entre l'art et la réalité des pratiques industrielles de la culture visuelle.
Il s'agira pour
Trouble, d'analyser des relations a priori antinomiques entre pratiques critiques et célébratives en essayant de dépasser un clivage idéologique qui associerait la critique au progressisme actif et la célébration à un culte passéiste et réactionnaire. À l'inverse, si on place la "critique" du côté du commentaire et la célébration du côté de l'action, on peut envisager le stade critique de l'art comme la réplique de l'existant ou sa répétition et la célébration comme un instrument de transformation du réel tout en en faisant partie. Il s'agira alors de reconsidérer une fonction célébrative de l'art, en tentant d'imaginer, entre ces deux activités de la critique et de la célébration, une opposition, non pas tant idéologique, mais téléologique. Ainsi, en évoquant l'idée de la célébration comme dépassement du stade critique et en la considérant en termes d'efficacité, on vise une possible puissance d'action et de sensation de l'art similaire à celle suscitée sur les foules par la culture du divertissement et à son pouvoir à constituer des communautés.
De 2002 à 2007, la revue
Trouble a effectué un travail de lecture, d'analyse et de production de points de vue sur l'art, en publiant des textes écrits tant par des artistes que par des critiques et des théoriciens.
En se maintenant délibérément à distance de l'actualité immédiate, la revue privilégie des approches subjectives et expérimentales, des partis pris théoriques et formels, des écritures qui rendent compte d'un travail critique qui ne relève pas seulement du commentaire, mais aussi de la spéculation, de l'acte de proposition. L'écriture critique est aussi un format avec lequel jouer, expérimenter, produire du sens autant que des formes. L'art contemporain y est autant un sujet d'étude qu'un moyen d'accès vers le réel, les phénomènes culturels, économiques, sociaux. Un tel positionnement se veut politique, mais sans y être inféodé.
Le travail de la revue
Trouble consiste aussi à republier des textes plus anciens ou "oubliés", à traduire des textes inédits en français pour mieux faire connaître des auteurs, élargir les contextes de réflexion, multiplier les approches hétérogènes.
Réalisée par
Boris Achour, artiste, Guillaume Désanges, Claire Jacquet,
François Piron et Emilie Renard, critiques d'art, la revue
Trouble invite pour chacun de ses numéros des auteurs internationaux, qu'elle associe également lors de manifestations publiques qui sont l'occasion d'autres formes de discours et d'énoncés critiques.