À l'ère de la parole-spectacle, de l'horizontalité de l'information ou encore du langage-écran, la voix du plus fort a-t-elle toujours raison ? Le novlangue, fil d'Ariane du roman dystopique
1984 de George Orwell, a été élaboré par le gouvernement à des fins de perte d'individuation. Prônant un rapport non-distancié aux faits et une diminution de l'appareil critique, cette nouvelle langue se construit sur la simplification langagière, le néologisme et l'affect. Son vocabulaire regroupe trois classes. Le groupe B, celui de la parole publique, est le terreau du projet proposé par Damir Očko.
L'exposition s'articule autour du film
Dicta II (pluriel de « dictum », latin pour dicton, le terme qualifie une vérité non remise en question). Faisant suite à
Dicta I, réalisé autour des écrits autobiographiques de Bertolt Brecht
Telling the Truth: 5 Difficulties (1934), rédigés lorsque ce dernier s'est vu dénaturalisé par le régime allemand,
Dicta II se construit autour d'une série de mots d'alerte. D'influence
conceptuelle et
dadaïste, le film prend la forme d'un
collage et regroupe un ensemble de déclarations inaudibles et contradictoires, aussi obscures que son image. Le film évoque le théâtre épique et la distanciation brechtienne qui politise la conscience chez le spectateur.
Publié à l'occasion de l'exposition éponyme au Jeu de Paume, Paris, du 6 février au 20 mai 2018, au CAPC musée d'art contemporain de Bordeaux du 13 février au 6 mai 2018, et au Musée Amparo de Puebla, Mexique, du 7 novembre 2018 au 19 janvier 2019.
Initiée en 2007, la programmation Satellite du Jeu de Paume est dédiée à la création contemporaine. Depuis 2015, le Jeu de Paume et le CAPC musée d'art contemporain de Bordeaux organisent conjointement ce programme d'expositions, assuré dès sa création par des commissaires d'envergure internationale (Fabienne Fulchéri, María Inés Rodríguez, Elena Filipovic,
Raimundas Malašauskas, Filipa Oliveira,
Mathieu Copeland, Nataša Petrešin-Bachelez, Erin Gleeson et Heidi Ballet, Osei Bonsu).
Pour la 11e édition de cette programmation, le Jeu de Paume et le CAPC musée d'art contemporain de Bordeaux renouvellent leur partenariat et s'associent à un nouveau partenaire, le Musée Amparo de Puebla, Mexique.
Agnès Violeau, commissaire indépendante basée à Paris, est invitée à concevoir cette programmation, intitulée « NOVLANGUE_ ».
Cette édition 2018 se compose des propositions de Damir Očko,
Daphné Le Sergent et
Alejandro Cesarco, engageant la parole publique comme outil d'individuation. Les trois expositions viennent irriguer l'analyse critique d'un monde en contraction de pensée, offrant une hypothèse de réponse aux limites d'un discours formaté, équarri, dépouillé.
À l'ère du
virage numérique et de sa capillarité, alors que même la parole publique, relayée par les
médias, fait usage des réseaux comme d'une agora, la question d'une
langue réduite, formatée, simplifiée refait surface. Cette mutation géopolitique n'est en effet pas sans évoquer un paysage langagier imaginé par la
littérature en 1949. Le novlangue est la langue officielle d'Océania, région fictive inventée par George Orwell dans son roman dystopique
1984. Utilisée dans l'écriture même du récit, cette langue est définie par Wikipédia comme « un principe simple : plus on diminue le nombre de mots d'une langue, plus on diminue le nombre de concepts avec lesquels réfléchir […], moins les gens sont capables de réfléchir et plus ils raisonnent à l'affect. La mauvaise maîtrise de la langue rend ainsi les […] sujets aisément manipulables par les médias de masse tels que la télévision. »
Cette simplification lexicale et syntaxique de la langue rend difficile voire impossible toute pensée critique. Le paradigme du novlangue, réduit à son minimum, fonctionne alors comme un langage-écran construit sur l'affect, l'idéologie, la rhétorique, la régularité absolue. La langue est le point d'achoppement entre vérité et falsification.
Pointant une distance toujours plus courte entre l'information donnée et sa lecture, mais aussi la possibilité nouvelle de naviguer entre les mots et les signes, « NOVLANGUE_ » tente d'ouvrir une cosmogonie du langage, une fabrique de pensée, une forme de résistance par le champ de la langue et de l'exposition.
Damir Očko (né en 1977 à Zagreb, où il vit et travaille) invite à parcourir les méandres du
langage et la manière dont le système neurophysiologique le génère avec poésie. Ses œuvres s'inscrivent dans un corpus d'idées où les éléments se répondent les uns aux autres, entre désir et carence, réel et fiction.
Damir Očko a fait l'objet de nombreuses expositions personnelles, notamment au Dazibao à Montréal (2016), au Pavillon croate de la 56e Biennale de Venise (2015), au Künstlerhaus Halle für Kunst & Medien de Graz et au Temple Bar Gallery & Studios à Dublin (2014), au
Palais de Tokyo à Paris (2012), à la Kunsthalle de Düsseldorf (2011), au Kunstverein de Leipzig (2010), au Museum of Contemporary Art de Zagreb (2005) ; ainsi que collectives : à l'Austrian Cultural Forum de New York (2016), au Württembergischer Kunstverein à Stuttgart (2015), à la Kunsthalle de Vienne, à la Collection Lambert en Avignon ainsi qu'au
Plateau à Paris (2014), ou encore au MUDAM, Luxembourg (2013).