Un dialogue entre deux figures de l'avant-garde, poétique et musicale.
Dans la continuité de son exploration de la dimension temporelle et de la transdisciplinarité, qui s'incarne tant dans sa collection que dans son projet artistique et culturel, le Frac Franche-Comté a initié en 2012 le projet Sound Houses dédié à la question du son dans l'art. Celui-ci se décline depuis sous diverses formes – collection éditoriale, série de concerts ou encore fonds d'archives spécialisées.
Le Frac conserve ainsi depuis 2012 les archives audiovisuelles de Julien Blaine, et depuis 2014, celles de Joëlle Léandre. L'activiste-revuiste-poète de I'oralité et l'aventurière-contrebassiste-improvisatrice d'avant-garde se sont rencontrés à de multiples reprises lors de leurs pérégrinations artistiques. Le musicologue Jean-Yves Bosseur s'est entretenu avec ces deux formidables personnages afin de tracer la constellation de notions qui les relient et qu'ils ont en partage, et qui sont autant de points d'accès à l'histoire des révolutions esthétiques qui ont marqué l'histoire de la musique et de l'art au XXe siècle.
Jean-Yves Bosseur (né en 1947 à Paris) est compositeur, musicologue et écrivain. Après des études de composition musicale avec Karlheinz Stockhausen et
Henri Pousseur, il obtient un Doctorat d'État (philosophie esthétique) à l'Université Paris I. Directeur de recherche au C.N.R.S. jusqu'en 2012, il est membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art (A.I.C.A.). Outre plusieurs disques en tant que compositeur, Jean-Yves Bosseur est l'auteur des nombreux ouvrages concernant les arts plastiques contemporains, parmi lesquels
Le paradigme musical d'Albert Ayme (Traversière),
Musique, passion d'artistes (Skira),
John Cage (Minerve),
Vocabulaire des arts plastiques du XX e siècle (Minerve),
La musique à la croisée des arts (Minerve),
Le collage d'un art à l'autre (Minerve),
Jan Voss, une vision kaléidoscopique (Lelong),
La plume avec Pierre Alechinsky (Actes Sud),
L'art sonore (Minerve).
Dès le début des années 1960, Julien Blaine (né en 1942 à Rognac, vit et travaille à Marseille) propose une
poésie sémiotique qui, au-delà du mot et de la lettre, se construit à partir de signes de toutes natures. Forcément multiple, il se situe à la fois dans une lignée post-
concrète (par son travail de multiplication des champs sémantiques, en faisant se côtoyer dans un même espace des signes – textuels, visuels, objectals – d'horizons différents) et post-
Fluxus (dans cette attitude d'une poésie comportementale, où est expérimentée à chaque instant la poésie comme partie intégrante du vécu). Mais avant tout, la poésie s'expérimente physiquement : elle est, d'évidence,
performative. Ses performances sont nombreuses, qui parfois le mettent physiquement en péril (
Chute, en 1983, où il se jette du haut des escaliers de la gare Saint-Charles à Marseille : violence de cette dégringolade incontrôlable, et la réception, brutale, au sol, quelques centaines de marches plus bas… puis Julien Blaine met son doigt sur la bouche et, sous l'œil d'une caméra complice cachée parmi les badauds médusés, murmure : « chuuuuut ! »). Mise en danger du corps, et mise en danger du poète, qui toujours oscille entre grotesque et tragique, dans une posture des plus fragile, car « le poète aujourd'hui est ridicule ». Performances, livres, affiches, disques, tract, mail-art, objets, films, revues, journaux… sa production est multiple, mêlant éphémère et durable, friable et solide. Pas un outil, un médium qui ne lui échappe. Mais rien qui ne soit achevé, arrêté. Car pour Julien Blaine la poésie est élémentaire, tout ce qu'il produit est fragment, indice d'un travail toujours en cours, document d'un chantier poétique à chaque instant renouvelé. Tous ces « résidus » doivent être lus en soi et en regard de ce qui nous entoure.
Blaine fut le cofondateur de
Libération avec ses amis de l'
Agence de Presse Libération et de
Géranonymo, directeur de
l'Autre-Journal avec son ami Michel Butel, fondateur de
Doc(k)s, la revue internationale des poésie d'avant-gardes.
Sous son patronyme Christian Poitevin, il fut adjoint à la culture à Marseille de 1989 à 1995.
Et sous le nom de Jules Van, il procéda à l'art du boycott, du vol, de la perruque et du sabotage ici & là.
Joëlle Léandre (née en 1951 à Aix-en-Provence) est une contrebassiste, improvisatrice et compositrice française. L'une des figures majeures de la nouvelle musique européenne, son rayonnement est international. Ses activités de créatrice et d'interprète, tant en solo qu'en ensemble, l'ont conduite sur les plus prestigieuses scènes européennes, américaines et asiatiques. Outre-Atlantique, elle a travaillé avec Merce Cuningham,
Morton Feldman,
John Cage, qui lui a dédié ses œuvres, tout comme
Giacinto Scelsi, Philippe Fénelon, Philippe Hersant,
Steve Lacy, José Luis Campana, Betsy Jolas,
Aldo Clementi...