Postface
(p.
415-421)
Le deuxième volume des
Écrits complets de Zaugg contient cinq textes
des années 1970. Ils permettent de comprendre la manière dont, ces années-
là, l'argumentation de ses propres œuvres et leur critique ont évolué
grâce aux fondements théoriques de la sémiologie, qu'il a approfondis
lui-même (de Saussure, Barthes, Lévi-Strauss
et al.).
D'autres artistes qui ont commencé à écrire des textes à la fin des
années 1960 et au début des années 1970, par exemple
Robert Smithson
ou
Daniel Buren, les ont surtout publiés dans des revues d'art. Il s'agissait
donc de textes courts. À Bâle, Zaugg se sentait un outsider du monde
de l'art qui se jouait ailleurs : à Paris ou à New York. Pour lui, l'écriture
était avant tout un travail solitaire. Ces textes furent publiés dans des
contextes organisés et définis par lui-même. Même plus tard, jamais un
texte n'aura été produit sur commande. Au contraire, Zaugg concevait
lui-même des livres entiers dont ses textes étaient une partie intégrante.
Ce qui arrivait souvent, c'est que lorsqu'une occasion se présentait, un
texte approprié se trouvait déjà dans ses tiroirs.
Dans les textes des années 1970, la peinture ne joue presque aucun
rôle, bien qu'elle ait été pratiquée par Zaugg. Ce n'est que dans les années
1980 qu'elle fut un sujet d'étude par écrit. En revanche, ce qui se trouve
au cœur de l'intérêt de Zaugg, c'est le travail en sérigraphie, qui avait la
forme de série, ainsi que les recherches qui y étaient liées concernant la
couleur et l'espace pictural, de même que les processus de déconstruction.
Pour situer les textes ici rassemblés dans la production littéraire
intensive des années 1970, on se reportera aux livres conçus par l'artiste :
Du même à l'incertain (vol. 3) et
La Ruse de l'innocence (vol. 4).
p. 7-25
Lecture de dix-sept états dichotomiques – essai (avec Jacques
Hainard), 1970
En français et en allemand in :
Dix-sept états dichotomiques/
Siebzehn
dichotomische Zustände, Das Grenchner Kleinbuch, no 3,
Granges (Soleure), 1970.
L'exposition dans la galerie Toni Brechbühl à Granges (23-08 au
18-09-1969) présentait des tableaux en noir, ainsi que des gouaches à
structures en grilles et en lamelles appartenant à l'ensemble d'œuvres
Devant-Derrière, de même que des objets constitués de planches en bois
disposées verticalement et horizontalement. La vitrine de la galerie était
occultée au moyen de planches peintes en noir. Ainsi la distinction thématique
entre le dehors et le dedans était traitée en même temps dans
l'espace réel et l'espace pictural. En relation avec l'exposition et à partir
de conversations avec le galeriste et éditeur Brechbühl, naissait l'idée
d'une édition en sérigraphie des
Dix-sept états dichotomiques et du texte
y étant relatif. Zaugg voulait réinterpréter le rapport traditionnel entre
l'œuvre graphique d'un artiste et le texte poétique d'un poète, comme il
était d'usage dans les portfolios de l'art moderne de l'après-guerre.
L'œuvre visuelle et le texte ne devaient plus se trouver dans un rapport
associatif : au contraire, le texte théorique devait thématiser de manière
précise les conditions et les résultats de l'œuvre visuelle. Pour le texte,
Zaugg chercha une aide auprès de Jacques Hainard, à l'époque ethnologue
au Völkerkundemuseum de Bâle et plus tard directeur du musée
d'Ethnographie de Neuchâtel. Les deux s'étaient rencontrés en 1968,
lisaient et discutaient des textes importants de sémiologie et d'anthropologie.
À la même époque – début des années 1970 –, Hainard écrivit
l'article « Rémy Zaugg et la quotidienneté » pour le catalogue de l'exposition
Bregnard, Myrha, Tolck, Zaugg dans l'ancienne ferme Le Clos-Henri
à Le Prédame (Jura). Ainsi les « Public relations », le premier à avoir été
rédigé ensemble, faisait suite à une collaboration existante.
Les dix-sept feuillets pliés illustraient chacun, sur la page de droite,
comment une distinction simple et minime entre deux couleurs (un
contraste clair/foncé et froid/chaud) sous la forme d'une structure en
lamelles produisait une impression de devant/derrière ; sur la page de
gauche, elles montraient comment des surfaces monochromes pouvaient
suggérer un espace coloré diffus. Les différentes qualités de papier ont
une part décisive dans l'effet de l'image. La dimension haptique influence
le visuel : le support de l'image est intégré au système d'expression. La
série s'achève avec des feuillets extrêmement minces sur lesquels sont
imprimées des couleurs froides en bleu-vert clair, qui en même temps
jouent aussi un rôle important dans la peinture. Grâce à ces couleurs, on
parvient à ouvrir un espace pictural transcendant et concave. Le nombre inhabituel de feuillets est un indice pour un travail empirique avec
abandon spontané.
Les sérigraphies furent réalisées fin 1969, avec une édition à
30 exemplaires signés par Zaugg ; le texte fut rédigé par Hainard et Zaugg
en mai et juin 1970, imprimé en offset et signé par les deux. Un emboîtage
gris réunissait les deux imprimés.
p. 27-111
Public relations de
Dedans-Dehors I-XII (avec Jacques Hainard),
1970-1971
En français in :
Public relations de “ Dedans-Dehors I-XII ”/Décodage
en français d'un objet vu, autoédition 1972, p. 15-73.
Dedans-Dehors I-XII est une œuvre complexe réalisée en sérigraphie,
composée de 106 feuillets, chacun de format 100 x 70 cm, se décomposant
en douze chapitres de différentes longueurs, imprimée entre 1968
et 1970 en 12 exemplaires. Le premier feuillet montre la représentation
conventionnelle, en perspective centrale, d'un cube à cinq faces dont les
côtés sont constitués de grilles. Le support, le papier, de même que la
ligne manuscrite au-dessous de la surface picturale, comportant le titre
de l'œuvre, la signature et le justificatif du tirage ont initialement une
fonction secondaire. Tout au long des chapitres, les côtés du cube sont
considérés l'un après l'autre, et de plus, l'effet produit par les différentes
couleurs et contrastes colorés y est analysé. Vers la fin du travail, la
structure en grilles n'est souvent plus imprimée que dans une seule
couleur, de sorte que le papier par sa teinte prend part à l'effet coloré.
Finalement, au chapitre XII, il y a six feuillets « blancs », non imprimés,
qui n'ont une signification différente que par leur position dans la série.
Ici, le support lui-même se trouve exposé, et la ligne manuscrite indique
où se trouvait ou se trouve toujours encore la surface picturale. S'agit-il
encore d'une représentation ou plutôt d'une autre sorte de tableau qui
fonctionne comme surface de projection du regardant marqué par des
conventions et des souvenirs ?
Le processus empirique du travail sérigraphique débouche dans
le texte sur un questionnement systématique de la couleur, de la forme,
de la surface picturale, du support papier, des conventions que sont la signature et la numérotation de l'exemplaire. « Public relations de
Dedans-Dehors I-XII » – le deuxième texte produit en collaboration avec
Jacques Hainard – est achevé en avril 1971. Il est publié en 1972 avec
Décodage en français d'un objet vu et un texte scientifique d' Arne Valberg
sur l'effet produit par les couleurs dans
Public relations de “ Dedans-
Dehors I-XII ”/Décodage en français d'un objet vu.
Les 106 sérigraphies ne furent exposées jusqu'ici qu'une seule fois :
en 1972, dans l'exposition personnelle organisée par Dieter Koepplin,
Rémy Zaugg – Dedans-Dehors / Dehors-Dedans 1968-1972 au Kunstmuseum
de Bâle (26-08 au 15-10). Elles furent imprimées en couleurs
pour la première fois dans l'ouvrage de Gerhard Mack,
Rémy Zaugg –
une monographie, Mudam de Luxembourg, 2005.
p. 113-361
Décodage en français d'un objet vu (avec Jacques Hainard), 1971
En français in :
Public relations de “ Dedans-Dehors I-XII ”/ Décodage
en français d'un objet vu, autoédition 1972, p. 95-258.
Extrait en édition séparée :
DD-DH I1 – essai poétique, autoédition 1972
Après « Public relations de
Dedans-Dehors I-XII », Hainard et Zaugg
se sont demandé s'il était vraiment possible de parler d'une manière adéquate
de tableaux. La critique littéraire utilise la même langue que la
littérature. Devait-on, par analogie, faire la critique de la peinture avec
les moyens de la peinture ? Ou est-il au contraire nécessaire de parler
des tableaux d'une tout autre manière ? Est-il possible de traduire complètement
en mots, dans un texte linéaire, le premier feuillet
Dd-
Dh I1 de
Dedans-Dehors I-XII (exemplaire no 3/12) – un objet compact ?
Ce sont ces questions qui étaient à l'origine de
Décodage en français d'un
objet vu.
Pour cette expérience, on choisit le premier feuillet du cycle de sérigraphies,
parce qu'il comportait un maximum de formes, de couleurs et
de matériaux, et que pour cette raison il exigerait un maximum de travail
de traduction. Ainsi, il était à prévoir que la description linéaire du
tableau synoptique serait infiniment longue. Le sujet de la phrase est l'énumération d'informations mises en relation sans la moindre ponctuation.
Ce n'est qu'à la fin du texte que le verbe et l'objet produisent le sens
de la phrase. Après que l'énumération fût continuée page après page, que
la parole fût suspendue, et qu'ainsi une durée correspondant au caractère
compact de l'objet fût gelée, cet état s'effondre finalement et s'achève
par un point. La phrase « Le dire objectal » est précédée d'une courte introduction
et suivie d'une « Analyse du dire objectal » qui en explique les
prémisses et les règles.
« Le dire objectal » fut publié une deuxième fois, dégagé de la relation
avec
Public relations de Dedans-Dehors/Décodage en français d'un
objet vu et sans ses deux textes-cadres analytiques. Cette deuxième publication
est nommée
DD-DH I1 – essai poétique et redatée de 1972, et
cette fois Zaugg en est l'auteur unique.
Sortie de son contexte original, c'est désormais son sous-titre qui en
donne la signification :
un essai poétique. Tandis que le tableau de paysage
de Cézanne, dans les
Esquisses perceptives (1963-1968, cf. vol. 1),
se dissolvait de manière “ impressionniste ” dans la perception, l'espace
intérieur à cinq côtés garnis de grilles de
DD-DH I1, représenté en perspective
centrale et imprimé en quadrichromie, est manifestement complètement
traduisible en langue – et pourtant, la traduction est (et signifie)
tout autre chose que le tableau.
p. 363-393
Lettre de demande de photographies de
En un lieu pour
Images en
un lieu, 1977-1978
Non publié jusqu'ici
Une lettre de Zaugg de Rome, où il est boursier de l'Istituto Svizzero,
à Dieter Koepplin, conservateur du Cabinet des estampes de la Öffentliche
Kunstsammlung de Bâle. Dans la collection de ce musée est conservée
l'œuvre en 30 parties intitulée
En un lieu (1975-1977). L'artiste prévoit
une publication sur cette œuvre.
Images en un lieu n'est pas conçu
comme livre conventionnel, mais comme un objet-livre dont les composantes
matérielles participent à l'ensemble du système expressif. En
particulier, l'artiste évoque différents positionnements du titre et du nom
de l'auteur – dos du livre, première de couverture, première page. Il ne pose pas seulement la question de la relation que le livre entretient avec
l'œuvre
En un lieu, mais aussi de la relation qu'il a avec les trois autres
livres publiés en 1972 et présentant la même couverture blanche et le
même format :
Dedans-Dehors, Dehors-Dedans 1968-1972, catalogue de
l'exposition au Kunstmuseum de Bâle ;
Public relations de “ Dedans-
Dehors I-XII ”/Décodage en français d'un objet vu et
DD-DH I1 – essai
poétique. Le projet de livre
Images en un lieu n'est pas réalisé.
p. 395-413
Avertissement pour « Les traces journalières de
Réflexion 1977 »,
1979
En français et en allemand in :
Rémy Zaugg, Réflexion 1977, catalogue
de l'exposition à la Kunsthalle de Berne, 1979, p. 27-31.
Après l'exposition au Kunstmuseum de Bâle en 1972, l'exposition
Réflexion 1977 organisée à la Kunsthalle de Berne (15-06 au 29-07-1979)
sur l'invitation de Johannes Gachnang fut une autre grande exposition
personnelle qui présentait 25 des 125 œuvres pluripartites de l'ensemble
d'œuvres donnant son titre à l'exposition et achevé deux ans avant
celle-ci.
Contrairement à ce qu'on pourrait attendre d'un catalogue d'exposition
traditionnel, ce ne sont pas les œuvres présentées qui y sont reproduites,
mais, à côté de vues de l'exposition, surtout les 125 esquisses qui
avaient accompagné les recherches sémiologiques sur la peinture de
Réflexion 1977. Elles furent imprimées en fac-similé sur du papier brunâtre
mince trouvé par hasard dans les fonds de l'imprimeur (papier
jadis employé pour imprimer les horaires des Chemins de fer fédéraux
suisses). En distinguant les deux sortes de papier, on soulignait le statut
particulier du fac-similé au sein du catalogue, ainsi que les qualités haptiques
de l'ensemble du livre.
Le texte de Zaugg développe la fonction instrumentale et schématique
des esquisses dans leur rapport à la peinture. Une note en bas de
page précise que le texte avait en fait été prévu pour une autre sorte de
publication, qui n'aurait dû contenir que les esquisses et le texte luimême,
sans aucune autre information : donc une publication explicitement
autonome, qui n'aurait pas été une illustration conventionnelle de l'exposition. Sans doute, on s'était ensuite rapproché des conventions du
catalogue d'exposition, un souhait de l'institution.
Eva Schmidt