les presses du réel

Art-Action

extrait
Préface : Art en action tout terrain

Richard Martel, suractif agent créatif de l'art comme performance, comme faire et non plus comme produit consommable dans le grand marché mondial, cofonde la revue Intervention au Québec en 1978, lorsqu'il achève sa thèse d'esthétique sur l'art conceptuel et rencontre Robert Filliou, au cours des rencontres et des actions de Vidéo-Université à Montréal (on le voit prendre des notes et participer à des actions). Comme si tout commençait là avec cette rencontre fondamentale du fondateur de l'Eternal Network (fondé d'abord au Canada entre Vancouver et Montréal puis élargi à la planète) et de la République Géniale (ce n'est pas un hasard si Richard Martel publie un ensemble de ses textes et entretiens réalisés au Canada en 2003). Filliou, qui est un ami des fluxus, ouvre un territoire immense pour une généralisation de l'art comme rencontre, comme interaction, comme processus créatif, jusqu'aux principes d'économie poétiques dédiés à Fourier, l'instigateur et l'inspirateur d'une société ludique (do it yourself) à l'échelle de la planète. Fourier, Fluxus, Filliou et tous les transformateurs. Québec comme Montréal sont à quelques heures (en avion ou en bus) de New York où Maciunas, le fondateur de Fluxus, meurt en 1978. Dans ces rencontres nomades avec Filliou en 1979, il y avait aussi Monty Cantsin (Kantor), un artiste hongrois qui a fondé le mouvement néosiste au Canada à Montréal. Tout ce qui est contemporain a bien plus de chance de se développer dans un pays sans tradition et tout récemment libre et francophone. Richard Martel pourra jouer avec ces composantes favorables d'une culture malgré tout tournée vers les nouveaux moyens de communication, vers la vidéo et l'interactivité, puisque le Canada est depuis les années 1970, le premier pays occidental à avoir développé des réseaux d'artistes en associations et coopératives, autogérées et soutenues, car il n'y avait pas l'immense poids du trésor classique et moderne d'un pays comme la France, avec sa culture ancienne et tous ses conservatismes. Richard Martel a pu devenir en vingt ans une sorte d'ambassadeur du Québec pour les arts de la performance dans le monde, situation impensable en république Française, où Robert Filliou ne peut même pas être accepté comme professeur dans une école d'art, justement à cette époque (1978/79) et ne parlons ni des éditions ni des œuvres achetées alors par l'Institution (le centre Georges Pompidou venait d'ouvrir avec une rétrospective d'un artiste français oublié et mythique, Marcel Duchamp (bilingue comme Filliou et surtout apprécié à New York).

Le contexte et la situation sont certes favorables mais Richard Martel possède des qualités excentriques et non conformes : capacités critiques, théoriques, pédagogiques, organisationnelles et créatives au service d'un vaste sujet qu'il va mettre une vingtaine d'années à réaliser : construite un lieu autonome quasiment indestructible, un outil de monstration, de rencontres, d'échanges, de débats, d'enseignement unique aujourd'hui en son genre sur la petite planète occidentale, dont tous les rêves analogues ont été fracassés par la première et la deuxième guerre mondiale : dada à Zurich avait déjà un projet analogue comme dada à Berlin et le constructivisme polonais des années 1920-30 : un centre d'accélération de la pensée visuelle par des expositions, des confrontations, des recherches ; dans les années 50, Jorn (cofondateur de Cobra) pense à un centre expérimental, une sorte de Bauhaus imaginiste et Maciunas tentera de fonder un Bauhaus Fluxus à la fin des années 70, des projets de centres de recherches interdisciplinaires sans classification selon les genres, abolis déjà par dada, le surréalisme et le constructivisme, des centres autonomes gérés par des artistes et non soumis aux lois du marché et de la consommation ; des projets qui reviennent avec 68 et qui tournent court devant l'effroyable réalité : le dernier projet réalisé et brisé (il dura une vingtaine d'années) fut celui d'Otto Muehl en Autriche avec sa Commune, une des conséquences de l'Actionnisme viennois des années 60 et des rêves des années 10 avec Monte Verità (communauté d'anarchie en Suisse).

Richard Martel connaît toutes ces tentatives du siècle pour en finir avec les pseudos hiérarchies, les séparations entretenues entre les arts, entre l'art et la recherche scientifique, entre l'art et la société. Et ce n'est pas un hasard, maintenant que Le Lieu est pérennisé, s'il peut en faire un centre de documentation sur tous les projets historiques et actuels et qu'une librairie consacrée à l'anarchie a été ouverte. Si l'art dans sa force centrale et génératrice est lié intrinsèquement à l'anarchie, ce n'est pas dû au hasard : c'est une lutte constante pour libérer les énergies créatrices, à tous les niveaux et dans tous les domaines, pour tenter d'inventer une communauté humaine sans tyrannie et riche de toutes ses potentialités bafouées, refoulées, saccagées, brisées, assassinées par tous les monstres que l'on sait, héros du profit, de l'esclavage, du travail forcé, de l'école et de l'université en miettes (dispersions et spécialisations à outrance) alors que les pratiques de Beuys, Maciunas, Filliou sont le levain d'un autre monde où l'imagination sait enfin reconnue (ce que Filliou comme les romantiques nommaient le génie ou l'inspiration, l'intuition globale, contre la technique creuse du talent mécanique).

Michel Giroud, 2005
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