les presses du réel

Robert Filliou et sa rechercheLes enjeux plasticognitifs de La recherche sur l'origine

extrait
Préface
Richard Martel
(p. 5-7)


C'est au début des années quatre-vingt que Filliou parcourt les centres d'artistes canadiens et que nous le rencontrons pour la première fois à Québec, à La chambre blanche, en novembre 1979. À cette époque, il avait déjà pénétré le milieu canadien lors de nombreux séjours, entre 1977 et 1981, à Calgary, à Montréal, à Vancouver, à Toronto. Il y avait fait la rencontre d'artistes et produit principalement en vidéo. Porta Filliou réalisé par Clive Robertson est édité par Arton en 1977. Filliou aura réalisé la majorité de ses productions vidéo au Canada, principalement avec le Western Front de Vancouver.
En fait, Filliou sera venu à Québec entre 1979 et 1980, et c'est à ce moment que des artistes québécois (1) auront participé à la vidéo Grâce à Fourier lors de sa venue à Montréal pour une exposition au Musée d'art contemporain avec Higgins et Ben. Nous le rappelons, Robert Filliou aura été très important pour l'implantation des centres d'artistes par sa prédilection pour le « réseau », la « fête permanente », celle des artistes et des poètes, la communication et l'échange entre les personnes se réalisant alors comme une création permanente.
Filliou avait aussi l'habitude de dire que « l'art doit revenir au peuple, auquel il appartient ». Dans le prolongement de Fourier, de Marx, de Proudhon et des premiers utopistes et socialistes, il prenait position pour restaurer l'humanité dans une « socialité », disant : « Pour moi, l'organisation idéale de la société (j'ai travaillé sur le sujet pendant quinze ans avec les principes de l'économie poétique) est d'arriver à la solitude heureuse de chaque être humain. »
Nous le savons, Filliou était… bouddhiste ! Et c'est en 1985 qu'il entre en retraite tibétaine à Chanteloube, en Dordogne, avec sa conjointe Marianne. En 1982, au retour de la documenta 7 de Kassel, lors d'un atelier sur l'« art politiquement engagé », je rends visite à Marianne et à Robert. Deux jours de conversations artistico-philosophiques. Je ne reverrai plus Robert Filliou. Il s'est éteint le 2 décembre 1987. En 1988, dans la revue Inter, art actuel (numéro 38), c'est l'essentiel des textes de Filliou qui est publié à la suite de son départ dans la « vie de l'esprit ». Ce dossier a été traduit par Nelo Vilar, en Espagne, pour la communauté artistique hispanophone.
En 2003, à l'occasion de la 8e Biennale de La Havane sur le thème « L'art et la vie », les Éditions Intervention éditent Robert Filliou : l'art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art, en français et en espagnol. Cette publication réunit les principales propositions de Filliou, des commentaires de Jacques Donguy, de Chantal Gaudreault et de Richard Martel, des éléments biographiques et bibliographiques ainsi qu'une iconographie pertinente (2).
Certes, Filliou a eu une très grande influence sur la notion de réseau, et les centres d'artistes, tel que Le Lieu, centre en art actuel, s'avèrent en être un moteur essentiel. Cette idée pose la question de l'institution, de la gestion, de l'organisation des pratiques d'art dans une insertion sociale pour une poétisation du vécu, que ce soit bien fait, mal fait ou pas fait !
Depuis 1989, en Colombie-Britannique, et 1992, au Québec, nous célébrons l'Anniversaire de l'art, toujours en date du 17 janvier. Cette idée nous vient de Filliou. À Québec, c'est le 17 janvier 1994 que fut proclamé l'Anniversaire de l'art, ce qui a permis aux dirigeants des villes contactées de s'impliquer par la suite sur le plan artistique. Une belle manœuvre de légitimation ! Du côté de la France, à Paris, c'est en 1993 qu'elle fut célébrée pour la première fois.
Il était donc évident que nous éditions cette publication de Cyrille Bret portant sur une œuvre majeure de Filliou, car ce dernier a réalisé une grande partie de ses œuvres – principalement en vidéo – ici, la France ayant reconnu assez tard le travail de l'artiste… Le positionnement politique français, dans le mainstream gauchiste officiel – Marx plutôt que Fourier –, aura pris son temps pour digérer les propositions esthético-politiques de Filliou. La situation sociale québécoise, avec la prolifération des centres d'artistes à partir des années quatre-vingt dans le prolongement de l'« Eternal Network », comporte quant à elle une forme d'autogestion de la part des artistes, en collectif la plupart du temps. Évidemment, nous devons rappeler la Cédille qui sourit de Filliou et Brecht, dans l'esprit de nos centres d'artistes.
La Recherche sur l'origine, sur laquelle a travaillé Filliou en 1974, à Berlin, est une œuvre charnière dans la production de l'artiste. Elle a été présentée au Musée d'art contemporain de Montréal en 1980. L'intuition de Cyrille Bret d'entamer une recherche sur ce projet est des plus significatives pour en saisir la dimension philosophique axée autant sur une introspection en sciences que sur l'évolution de la pensée dans son rapport à la cosmologie. Cette analyse témoigne du principe d'équivalence, ou d'une certaine relation, entre la physique nucléaire et la tradition du Tao-tö king.
Peut-être une équivalence entre l'Orient et l'Occident…
L'essai de Cyrille Bret s'accompagne d'éléments puisés à l'intérieur du livret édité avec le rouleau de papier millimétré constituant le dixième des dimensions de l'œuvre muséologique réalisée en 1974. Nous tenons à remercier Marianne Filliou qui nous a autorisés à publier l'iconographie relative à la Recherche sur l'origine de Robert Filliou.


1 Richard Martel, Monty Cantsin et Claude-Paul Gauthier
2 Jacques Donguy, Chantal Gaudreault et Richard Martel, Robert Fillliou : l'art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art, Québec, Éditions Intervention, 2003, 70 p.
thèmesCyrille Bret : autre titre

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