Histoire des
Italian Paintings, 1961-1969
Propos de Marcia Hafif recueillis par Josselyne Naef et Sophie Costes
(extrait, p. 9-10)
1.
Vers la fin 1961, j'ai voulu passer un an à Florence et dans
d'autres villes italiennes où je pourrais voir les peintures et
les sculptures de la Renaissance que j'avais étudiées récemment.
Au moins un an, parce que je comptais peindre et
voyager aussi dans le reste de l'Europe. Quand j'ai quitté
Los Angeles, je savais un peu d'italien, mais presque rien
sur l'art contemporain en Italie.
Ayant emporté dans mes bagages du papier, des crayons
et des pastels gras en plus des vêtements pour un an,
j'ai dessiné dans ma chambre d'hôtel à New York, sur
le bateau (le Cristoforo Colombo), dans une
pensione à
Naples, puis à l'hôtel à Rome. Je poursuivais le travail
commencé en Californie sur les images symétriques, exécutées
le plus souvent en traçant des traits au crayon noir
dans du pastel fondu de couleur saturée étalé sur le papier.
Je suis allée visiter Florence et voir les peintures comme
j'en avais l'intention, mais en passant d'abord par Rome.
J'ai eu un coup de foudre, malgré l'architecture baroque
qui, selon moi, supportait mal la comparaison avec l'art
de la Renaissance que j'étais venue voir. C'est là que j'ai
décidé d'habiter.
J'ai trouvé un appartement à Rome, acheté des fournitures
(couleurs à l'huile et pinceaux), commandé des
toiles et commencé à peindre, sans penser que cette accumulation
de choses matérielles allait me faire perdre ma
liberté de mouvement et compromettre mon exploration
de l'« Europe ». Donc, je me suis installée et j'ai acheté un
livre de cuisine italien. Je faisais mes courses, j'allais au
cinéma, je lisais les journaux. Grâce à toutes ces activités,
ajoutées à mes tentatives de conversation, j'ai appris à
parler, à lire et à comprendre l'italien.
Les premières peintures à l'huile étaient des variations
sur une image que j'avais utilisée à Los Angeles, un disque
placé au centre d'une toile rectangulaire, avec les quatre
angles du tableau peints de manière à dessiner une forme
de croix. J'appliquais la couleur au pinceau en couche
épaisse et je traçais des traits en pleine pâte avec un instrument
pointu.
2.
Durant l'été 1960, je m'étais inscrite pour la dernière fois
à des cours de peinture. J'habitais depuis plusieurs années
à Claremont, Californie, où j'avais peint pendant toute
ma scolarité et reçu l'enseignement de peintres de figures,
natures mortes et paysages relativement traditionnels.
Mais ces cours étaient assurés par Richards Ruben, un des
principaux représentants de l'expressionnisme abstrait de
la côte Ouest. C'est lui qui m'a encouragée à m'orienter
vers l'abstraction et à trouver mon vocabulaire à moi.
C'est lui, aussi, qui m'a fait découvrir la scène artistique
de Los Angeles, en particulier les artistes liés à la Ferus
Gallery où il exposait ainsi que bon nombre de ses amis.
La Ferus Gallery, fondée par Walter Hopps et Edward
Kienholz vers la fin des années 1950, était dirigée à ce
moment-là par Hopps et Irving Blum. C'était la plus
avant-gardiste de Los Angeles à l'époque, et c'est à ce
titre qu'elle est entrée dans l'histoire. Elle exposait notamment
les tableaux quasi monochromes de Robert Irwin,
les assemblages parfois macabres, mais toujours en prise
sur la réalité sociale, de Kienholz, les grands motifs symétriques
en forme d'emblèmes peints par Billy Al Bengston,
et les céramiques de Ken Price, très différentes des poteries
en raku d'inspiration japonaise que je connaissais bien. Il y avait des artistes de Los Angeles et de San Francisco également,
tels que John Altoon, Jay De Feo, Sonia Gechtoff, Ed
Moses, Bruce Connor, Peter Voulkos et John Mason, pour
ne citer qu'eux.
De temps en temps, Walter (Chico) Hopps passait
me prendre (entre-temps, j'avais emménagé à West
Hollywood) pour me conduire chez un artiste dont il
venait d'entendre parler, ou encore chez un marchand de
Chicago venu à Los Angeles avec un choix de peintures
expressionnistes abstraites de New York. Hopps avait une
assez grande curiosité intellectuelle pour exposer Giorgio
Morandi dès cette époque et pour organiser ensuite la
première rétrospective américaine de Marcel Duchamp,
au Pasadena Art Museum.
Je suis allée à New York en 1959, puis à nouveau en
1961, pour visiter les musées et les galeries. J'y ai rencontré
quelques artistes : Mark Rothko et Norman Bluhm
dans un café d'Uptown, Franz Kline, qui m'a offert une
bière au légendaire Cedar Bar dans le Village (où, paraît-il,
Willem De Kooning s'est trouvé impliqué dans une
bagarre sur le trottoir). J'ai participé à une fête dans le
loft d'Elaine De Kooning. Le monde de l'art new-yorkais
était beaucoup plus petit qu'aujourd'hui.
L'influence de mon professeur Richards Ruben, de mes
séjours à New York et de ce que je voyais à Los Angeles
m'a incitée à poursuivre mes recherches sur la voie de
l'abstraction. Au cours de l'année où j'ai habité à Los
Angeles je suis partie des quelque quasi-monochromes
peints à Claremont pour en arriver à des œuvres que j'ai
commencé à qualifier de concrètes (par opposition à abstraites).
J'envisageais la toile tendue sur le châssis comme
un objet et je la peignais en conséquence. L'univers mental
où m'avait fait pénétrer Ruben englobait une réappréciation
du surréalisme, une appréhension plus large du
jazz (de Dave Brubeck à Ornette Coleman en passant
par Miles Davis) et la découverte des nouveaux courants
littéraires. On allait écouter des lectures de poèmes à la
Gas House de Venice et voir des pièces de Beckett ou de
Ionesco à Los Angeles. On lisait Henry Miller,
William
Burroughs et
Jean Genet.
La psychothérapie entamée après mon divorce a débouché
sur une nouvelle iconographie dans mon travail,
surtout les dessins, mais aussi les peintures. Ma méthode
consistait à m'asseoir devant la page blanche, ou la toile
tendue et enduite, jusqu'à ce qu'une image apparaisse, projetée mentalement sur la surface vierge. Mes peintures
avaient commencé à présenter une symétrie en
1960, avant la fracture du poignet qui m'a rendue temporairement
ambidextre. Cette symétrie a persisté dans
mes peintures aussi longtemps qu'elles ont donné à voir
des images reconnaissables, c'est-à-dire jusqu'à la fin des
années 1960.
(...)