À la frite agittée
Avant-propos
Guillaume Belhomme
(p. 7-8)
They're alive, they're awake
While the rest of the world is asleep
Tom Waits, « Underground »
Hier encore, on appelait à la mobilisation générale – même les étudiants du Conservatoire s'y étaient mis : « Xenakis, pas Gounod ! » – et voilà que, déjà, on lui opposerait une « depression free », pour reprendre le beau titre d'un dessin de Paul van der Eerden ? Certes, on peut regretter ce qui s'est fait hier, mais peut-être est-il utile aussi d'aller chercher ce qui pourrait bien s'inventer encore de nos jours – même si les recherches demanderont davantage d'efforts
étant donné le grand nombre d'artistes qui font désormais le trottoir. Car l'imagination n'a-t-elle pas de tout temps composé dans la marge voire le secret, sous le manteau et même pire : « sous terre » ?
Voici donc l'underground musical
français – note à l'éditeur : c'est bien le troisième terme qui doit apparaître en italiques. Pas l'underground musical
français dans son intégralité, entendons-nous bien, mais une belle partie ; ou plutôt trente-six beaux partis dont Philippe Robert a recueilli les témoignages. Qu'importent les « genres », les « styles » et même les « époques », une chose est sûre : pendant que la majorité des étudiants du Conservatoire s'appliquent en fosses communes, des musiciens sans collier, parfois autodidactes, s'ébattent et interrogent la musique sur courant « alternatif ».
Si les temps ont changé – « On pouvait monter un groupe l'après-midi, faire une bande le soir et trouver un label le lendemain. De plus, la presse et les radios s'intéressaient à toi. » –, l'imagination n'en a peut-être pas encore fini. Alors, à la jeunesse, s'il en est, qui voudra rompre avec l'assourdissant (à sa manière) ronron culturel, bonne chance et puis deux conseils : se montrer, sur l'exemple de Pierre Barouh, imperméable à toute forme d'amertume et ne pas hésiter à puiser dans ces témoignages un peu de force et de courage.
À propos de l'enseigne,
Agitation Frite : pour couvrir une cinquantaine d'années de création musicale hors-normes, ce livre garantit forcément à son lecteur un peu d'agitation. L'habile référence au groupe allemand du presque même nom (dont plusieurs musiciens interrogés ici reconnaissent l'influence) a, quant à elle, été choisie pour faire entrer dans le jeu
french fries et semi-liberté. C'est un titre énigmatique – certes, mais qui claque comme le slogan d'un soixante-huitard passé à l'ennemi par goût du confort – dont un second volume d'entretiens viendra peut-être à son tour interroger la pertinence…
There's a world going on underground, chantait jadis Tom Waits. C'est pourquoi Philippe Robert n'en a peut-être pas fini non plus. D'ailleurs, des noms (Joëlle Léandre, Ghédalia Tazartès, Gilles Yéprémian, Michel Henritzi, Philippe Carles, Thierry Müller, Lucien Suel, Jean-Pierre Turmel,
eRikm, Erik Minkkinen, El-G…) circulent déjà, même si « sous le manteau » encore. Mais soyons rassurés, puisqu'on saura maintenant que c'est le plus souvent sous le manteau que ça se passe. À tel point qu'on espère que c'est sous le manteau aussi qu'on se passera et qu'on se repassera la frite agitée de Philippe Robert.