Préface
Corinne Diserens
(livret PDF, p. 3-4)
Figure singulière et majeure de la seconde moitié du XXe siècle, l'artiste brésilienne Lygia Clark
mène dès 1972 des expériences de groupe à La Sorbonne (Paris) où elle enseigne et rencontre
« pour la première fois des conditions propres à communiquer [son] projet ». « Des jeunes que
je prépare une année entière qui travaillent depuis la
Nostalgia do corpo [Nostalgie du corps]
– son morcellement – jusqu'à sa reconstruction, pour finir dans ce que j'appelle le corps collectif,
bave anthropophage ou cannibalisme ». Travail qui annonce déjà les séances individuelles avec
les « objets relationnels » ou objets transitionnels, de la
Estruturação do Self [Structuration du
self] que l'artiste propose dès son retour à Rio en 1976 et qui, en restant toujours en marge de
l'art et de la clinique, rejoue leurs limites de l'intérieur.
Tout au long de ces années, l'œuvre de Lygia Clark explore un corps conçu comme une
architecture et lieu de l'expérience collective ou individuelle, choisissant d'adopter le
« paradoxe », comme le décrivent ses amis, les critiques Guy Brett et
Yve-Alain Bois. Lygia Clark
propose la liberté et la plénitude de soi grâce à des dispositifs qui ligotent et contraignent le
corps, comme avec sa
Camisa-de-força [Camisole de force] (1969). Faisant ainsi, elle questionne
sans cesse les identités stables de l'auteur, de l'objet, et du spectateur de l'équation esthétique,
et définit la radicalité de l'œuvre par son potentiel à amener la capacité de transformation à la
conscience de son récepteur.
Comment transmettre aujourd'hui l'événement qui était en jeu dans l'œuvre de Lygia Clark et
imaginer une stratégie pour révéler quelque chose qui se trouve à la limite du préhensible et
du nommable ? Telle est la question et le défi que Suely Rolnik se pose depuis plusieurs années
et qui est au cœur de son projet « Archive pour une œuvre-événement. Projet d'activation de
la mémoire corporelle d'une trajectoire artistique et son contexte ». Avec les 65 entretiens
filmés qu'elle a réalisés en France, au Brésil et aux États-Unis, Suely Rolnik mobilise une
mémoire de cet événement que semblent (re)dessiner ces voix si hétérogènes.
Une large sélection de ces entretiens a été diffusée en avant-première dans le cadre de
l'exposition
Lygia Clark : de l'œuvre à l'événement. Nous sommes le moule. À vous de donner le souffle (1) organisée par le Musée des Beaux-Arts de Nantes en 2005 et présentée l'année suivante,
avec un nouveau montage, à la Pinacoteca do Estado de São Paulo.
Carta Blanca Éditions, en publiant en français ce coffret avec vingt entretiens filmés
appartenant à cette archive participe au processus de mémoire déjà présent dans le projet
artistique de Lygia Clark.
(...)
1. Commissariat d'exposition et édition de catalogue par Corinne Diserens et Suely Rolnik.
Du 8 octobre au 31 décembre 2005 au Musée des Beaux-Arts de Nantes, dans le cadre de
Brésil, Brésils.
L'Année du Brésil en France, et du 25 janvier au 26 mars 2006 à la Pinacoteca do Estado de São Paulo.
Voir le
catalogue éponyme.