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Mais la femme chez Waldmann n'est pas seulement victime de machineries sadiques et d'exercices de déconstruction corporelle. Ces collages tendent à produire une femme objet, dont
l'efficacité ne cesse de contredire ou de déjouer la mythologie féminine mise en avant par le
nazisme. Si la femme dans l'art fasciste est sublimée dans son rôle de génitrice, selon l'équation
Mère – Terre – Patrie, pour laquelle il faut être prêt à donner sa vie, chez Waldmann elle
est découpée et recomposée à partir de sa fonction spectaculaire pour devenir ce pur signe
de détournement. La femme est alors spectrale. Elle émane de la publicité, tirée le plus souvent
de campagnes pour maillots de bain ou sous-vêtements féminins. L'artiste lui prête volontiers
les archétypes hollywoodiens. Ailleurs, elle est reprise et détournée à partir de la propagande
nazie, avec ces grands corps athlétiques, gymnastes en plein air ou ces nus apolliniens qui
ne manquent pas de rappeler les silhouettes photographiées par Leni Riefenstahl. Pourtant,
ces corps mettent toute leur énergie à fuir une situation de désastre ou s'y abandonnent de
manière plus décisive, comme ces danseuses qui plongent dans des cheminées d'usines. Corps
contraint par une posture disciplinaire que les ciseaux du collagiste recomposent invariablement
sur fond d'éléments architecturaux, la femme chez Waldmann se développe à l'ombre
de l'automate féminin de « Métropolis ». Sa féminité se forge non plus du côté de la nature,
mais bien à partir d'une vision urbaine de la femme. L'origine publicitaire de ses collages vise
à contredire cette vision idyllique et champêtre cultivée par la propagande nazie, tandis que
les corps féminins de Waldmann sont recomposés en un simulacre qui cherche à exorciser le
mythe de la féminité nazie.
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Stéphane Massonet
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Les œuvres de Waldmann mettent effectivement en question les rapports du signe, du sens et
de l'identité, développant ainsi une création par définition anti-nazie et anti-stalinienne. Mais
la démarche de Waldmann ne se réduit pas à prélever des signes pour leur faire signifier
autre chose, leur donner une signification opposée. S'il y a bien une charge critique menée
contre le nazisme et le stalinisme, celle-ci n'épuise pas les œuvres. La question de l'identité,
son traitement à partir de l'affirmation d'une pluralité, se prolongent dans ses collages selon
deux autres modalités conjointes. Chaque élément est juxtaposé à un autre élément a priori
hétérogène : un corps mêlé à une machine, un visage où s'enchâsse du métallique, une cage
est le ventre d'une femme où est logé un singe, l'animal se combine à l'humain, les règnes
s'entrecroisent, des dimensions divergentes se rejoignent, des perspectives sans point de vue
unique fonctionnent ensemble (leçon du
Cubisme ?), etc. Chaque élément fait signe vers un
champ déterminé, une réalité que l'on croirait close ou clairement circonscrite (l'humain, l'animal,
l'histoire, le texte, etc.) ; pourtant, Waldmann construit ses collages en juxtaposant ces
éléments hétérogènes qui se combinent pour à la fois brouiller les frontières de chaque signe
pris en lui-même (et donc de chaque champ auquel il se rattache), mais surtout pour construire
un signe multiple fait de la juxtaposition et convergence de tous ces signes hétérogènes – un
signe qui ne cesse de bifurquer en quelque sorte –, juxtaposition et convergence constitutives
de chaque œuvre comme signe multiple et asignifiant.
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Jean-Philippe Cazier