Un important choix de textes écrits entre 1983 et 2016, sorte de bibliothèque portative qui permet d'appréhender toute la singularité de l'œuvre de Sivan. Les préfaces en ouverture nous offrent quelques pistes de lecture pour mieux aborder cette poésie hors du commun, notamment en pointant les liens affirmés entre cet univers poétique et ceux d'ainés tels que Denis Roche,
Raymond Roussel, Charles Olson, Maurice Roche ou
Marcel Duchamp…
« J'écris dans la lignée du “corps sans organes”, du corps glossolalique d'
Antonin Artaud et surtout de Raymond Roussel. Je réfléchis non pas à un corps clos aux contours bien définis et aux fonctions hiérarchisées (âme, raison, organes), tel que nous l'a transmis la tradition humaniste, mais à la multiplicité de corps poreux, ouverts, instables ; de corps motléculaires d'autant plus énergétiques que l'on facilite leur permanente interaction. Grappes ou blocs de cellules vocales, aux colorations variables, qui se prononcent selon un dispositif qui tente d'instrumentaliser le hasard plutôt que de l'éliminer. »
« Je vis mon écriture comme une façon de voir et, inversement, l'action de voir comme mon mode d'écriture le plus intime, le plus vrai. On ne voit pas seulement avec les yeux mais avec tous les sens et aussi, dans tous les sens. Le corps est donc un dispositif sensitif complexe en perpétuelle mutation. Voir/écrire est un acte indissociable, dans la mesure où l'écriture est toujours un processus de réécriture, un processus d'ajustage des continuels écarts des/du sens. »
Le chantier
poétique de Jacques Sivan (1955-2016) est certainement l'un des plus passionnant qu'il nous est donné d'explorer. Inventeur d'une écriture motléculaire (une écriture désaffublée des conventions et des codes contre lesquels l'auteur nous invite à résister), Jacques Sivan réinvente une langue qui reflète la complexité plurielle du monde tout en témoignant de son rapport au monde, de son expérience de vivre. Ici la poésie est pensée en action.
Avec
Vannina Maestri et
Jean-Michel Espitallier, il a créé et dirigé la revue
Java. Il a publié dans les principales revues de poésie contemporaine (
TXT, la
Revue de Littérature Générale,
Quaderno,
Il Particolare,
EC/ARTS,
Doc(k)s,
Action poétique, la
Res Poetica, etc.) et multiplié les lectures publiques et interventions performatives ainsi que les collaborations avec des artistes (comme avec la cinéaste Marie Poitevin et le musicien
Cédric Pigot). Il est notamment l'auteur de
Machine Manifeste (Léo Scheer, 2003),
Le Bazar de l'Hôtel de ville (
Al Dante, 2006),
Raymond Roussel : L'allée aux Lucioles / Les corps subtils aux gloires légitimantes (Les presses du réel, 2008).