En autant de rencontres que de films, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige évoquent leur travail avec lucidité et sans détour.
Nous connaissons Joana Hadjithomas et Khalil Joreige depuis quelques années, et notre vision stupéfaite de leur second long-métrage, A Perfect Day : une matière et une narration à la frontière du documentaire et de la fiction, des arts plastiques et du cinéma. Nous découvrions alors une méthode de travail singulière, empruntant à l'art contemporain et au cinéma, abolissant les frontières entre ces territoires et leurs manières de penser et de produire. Quelques années plus tard, la sortie de Je veux voir confirma le sentiment d'une œuvre décisive car appliquée à poser les questions les plus urgentes : que peut le cinéma aujourd'hui, quelles sont ses puissances politiques et esthétiques dans le contexte contemporain du Liban, et au-delà, d'une civilisation de l'image souvent aveugle et oublieuse ? Loin des jeux postmodernes et des dérives nombrilistes d'un art sans histoire(s), les films de Joreige et Hadjithomas empruntent aux arts plastiques des pratiques et des questions capables de rendre au cinéma vertu polémique et nécessité politique : un cinéma qui déplace les lignes, bouscule les conforts de pensée et les habitudes de regard, fragilise les discours dominants en en faisant affleurer l'impensé, l'inaperçu. Un cinéma qui questionne l'image pour agir dans le réel, et vice-versa.
Depuis le milieu des années 1990, Joana Hadjithomas & Khalil
Joreige (nés en 1969, vivent et travaillent à Beyrouth,
Liban, et
Paris) élaborent une œuvre riche et multiforme qui embrasse les
champs de la
photographie, des arts plastiques, du
cinéma de fiction
et du
documentaire. En 2008, ils ont présenté au Festival de
Cannes
Je veux voir, un long‐métrage de fiction avec
Catherine Deneuve et
Rabih Mroué ; en mai 2013, ils ont sorti le film
documentaire
The Lebanese Rocket Society : l'étrange histoire de
l'aventure spatiale libanaise.
Leur approche multiple de la création donne naissance à une
esthétique singulière où les questions du visible et du
caché, des relations entre la fiction et la réalité
tiennent une place primordiale. Le processus d'enquête et de mise au
jour, les représentation de données historiques, culturelles
et politiques sont au cœur de leur démarche. Ils expliquent :
« Tout notre travail se fonde à la frontière d'un
réel où se pose continuellement la question du territoire, de
sa délimitation (celui de l'art, celui de la vie personnelle), la
question du corps social et du corps individuel dans une
société communautaire, dans un temps où il est de plus
en plus difficile de se poser en individu vecteur de la pensée et de
la possible opposition, de dire “je”, de dire “je suis cet
être‐là avec ses contradictions ; je suis là et, plus
encore qu'un individu, je suis un sujet politique singulier”. »
Joana Hadjithomas et Khalil
Joreige ont été lauréats du Prix Marcel Duchamp 2017.