L'histoire d'une œuvre emblématique de Claude Rutault.
Écrite en 1989, la dm 170, inventaire 2 a été réalisée pour l'ouverture du Mamco en 1994 dans un espace cloisonné par des panneaux de bois, comme l'étaient alors toutes les salles du musée. Sous le titre L'Inventaire, donné par l'institution, elle répond à la demande faite par cette dernière à quatre artistes, dont Claude Rutault, de penser ce que serait pour eux « la dernière salle idéale». Depuis sa mise en place, les actualisations de cette œuvre (plus d'une quinzaine) se sont succédé à un rythme régulier et de façon fort différente, proposant des images, visions et conceptions variées, bien que toujours conformes, du projet d'une peinture écrite auquel Claude Rutault travaille depuis 1973.
L'ensemble des toiles de cet inventaire – deux cent quarante-huit très exactement – soigneusement rangées dans des rayonnages, constitue un équivalent visuel du corpus proliférant des définitions/méthodes (dm), ces textes à partir desquels s'actualisent les peintures de Claude Rutault : une toile par texte, peinte si celui-ci a été actualisé au moins une fois ou laissée brute. Image de l'atelier, du travail en cours et d'une œuvre jamais finie, qu'il revient à un preneur en charge (particulier, institution) de réaliser, L'Inventaire apparaît également comme une bibliothèque idéale dans laquelle peintures et livres ne font qu'un.
L'histoire de cette œuvre au Mamco, que l'on pourra lire dans cet ouvrage abondamment illustré, est aussi celle de tout l'œuvre peint de Rutault, un artiste hanté par le souci de confronter sa pratique aux enjeux de la modernité, mais d'une modernité qu'il s'agit toujours et encore de réinventer.
Marie-Hélène Breuil (1962-2016) a enseigné l'histoire de la sculpture, l'histoire de la restauration et l'art contemporain à l'École supérieure des beaux-arts de Tours. Ses recherches se sont partagées entre deux thèmes qui se croisent : l'art contemporain depuis 1970 autour du travail de peinture et d'écriture de l'artiste
Claude Rutault ; les problématiques de
conservation-restauration des œuvres contemporaines et les
protocoles d'exposition. Elles ont porté notamment sur la matérialité et la dématérialisation, les modes et les moyens de production, l'actualisation et la « prise en charge » des œuvres. Elle a assuré la mise en œuvre, la documentation et l'iconographie de l'édition intégrale des définitions/méthodes de Claude Rutault parue sous le titre
Claude Rutault définitions/méthodes le livre, aux éditions Flammarion en 2000. Elle est l'auteur d'une thèse en histoire de l'art soutenue à l'Université Paris IV – Sorbonne en 2009,
L'œuvre de Claude Rutault – définitions/méthodes : écriture, peinture, sociabilité.
Claude Rutault (1941-2022) est un peintre conceptuel français dont l'ensemble de l'œuvre vise à une déconstruction générale des modes d'existence du tableau.
Claude Rutault ne réalise pas ses toiles lui-même, il ne les fait pas fabriquer dans son atelier, il ne supervise pas ses accrochages, il rédige par contre un ensemble de consignes, d'instructions et de recommandations appelées « définitions/méthodes ». Celles-ci sont méticuleusement suivies par un collectionneur, un musée ou une galerie qu'il appelle les « preneurs en charge » et qui s'attellent à les « actualiser ».
L'origine de sa réflexion naît en 1973, lors de la mise en peinture des murs de sa cuisine, pendant son aménagement dans sa nouvelle maison. Il repeint dans la foulée une des toiles qui s'y trouve pour la raccrocher ensuite. Depuis, il réfléchit et approfondit la portée de son acte. Sa première « dé-finitions/méthodes » (1973) porte le numéro 1 : toile à l'unité « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. Sont utilisables tous les formats standards disponibles dans le commerce, qu'ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales. L'accrochage est traditionnel. »
Ses toiles ont une durée de vie limitée. En effet, si le « preneur en charge » vient à décider de la déplacer ou de repeindre le mur sur lequel elle est accrochée, il sera obligé d'en faire de même pour la toile et lui donnera par conséquence une nouvelle identité, il la « réactualise ». Les consignes des « définitions/méthodes » sont claires, courtes et simples. Leurs exécutions dépendent uniquement du « preneur en charge ». Leurs interprétations, le suivi des consignes, les formes, les couleurs, l'emplacement, le contexte, participent à l'absence de maîtrise que Rutault a sur elles. Ces paramètres sont imprévisibles, liés uniquement au « preneur en charge » et ne peuvent pas être anticipés. Si ses toiles évoluent de manière imprévue, le « preneur en charge » devra en avertir Rutault.
Au fil de temps, il a dû accepter que ses toiles aient leurs propres chemins et leurs propres existences. Elles évoluent sans balises, sans contrôle de sa part. Ses « définitions/méthodes » ont décrit la naissance de centaines de toiles dont il n'est plus responsable au fil du temps qui passe.