Les cahiers de Salomone rédigés selon un protocole précis. Un travail littéraire inclassable qui prolonge sa production visuelle. Un exemple rare d'écriture qui, associant approche personnelle de l'image et verbalisation de sa plasticité, constitue une dimension spécifique de la production artistique.
Entre 1991 et 2006, Yvan Salomone a rédigé dix carnets de soixante pages chacun
selon un protocole simple : chaque page a pour point de départ une aquarelle
réalisée par l'artiste lui-même selon des règles très précises (utilisation d'une
photographie comme embrayeur de l'image peinte, format immuable de cette
dernière, absence de figure humaine, paysages industriels comme motifs quasi
exclusifs du travail). De cette entreprise, qui se poursuit encore aujourd'hui,
résulte ce livre inclassable.
Ni écrit d'artiste ni journal ni exégèse d'un travail
visuel, Le Point d'Ithaque offre un exemple rare d'écriture qui associe approche
personnelle voire intime de l'image et verbalisation de sa plasticité. Le texte
vient donc après le dessin, après la peinture, le signe vient après le visible dans
un retard qui le rend possible. Et pourtant c'est dans l'écriture elle-même que
se produit quelque chose comme une vie supplémentaire, c'est-à-dire à part
entière, de la représentation, puisqu'on imagine cette dernière à partir de la
page qui l'écrit plus qu'elle ne la décrit autrement dit qui lui donne une autre
incarnation, une autre existence matérielle et symbolique. Pas donc d'ekphrasis ici au sens classique et technique du terme mais bien l'exposition, la traversée,
par Yvan Salomone lui-même, des multiples linéaments qui conduisent à faire
une image.
On trouve d'autre part dans ces lignes des références explicites ou
cryptiques à un univers de pensée qui est celui de l'auteur, un ensemble de
textes et d'œuvres plastiques qui sont autant de hantises, de fantômes par
lesquels passe chez lui le travail en général, quelque forme qu'il prenne, et qui
peuplent l'ouvrage de leur interminable retour. De cette traversée littéraire et
unique du visible l'on ressort avec la conviction, ici posée comme une véritable
expérience d'écriture et de lecture, que l'homme vit essentiellement dans les
images.
« Si cette sorte de journal de peinture se raccroche à autant de tableaux précis, au point que pour Salomone ils sont deux faces de l'œuvre, ce gros livre est sans image, à l'exception de l'illustration de couverture, mais il en produit de nombreuses, non rétiniennes et fortes, qu'on les confronte ou non à la peinture. »
Christophe Domino, Le Journal des arts
Le travail d'Yvan Salomone (né en 1957 à Saint-Malo, où il vit et travaille) commence par la reproduction sur format identique d'images qui sont ensuite retravaillées et recadrées. S'obligeant à suivre un protocole très strict, il réalise chaque semaine une aquarelle, à partir de photographies donnant à voir des lieux délaissés, périphériques, sans vie humaine. La singularité de l'œuvre de Salomone se situe dans cette rencontre anachronique et inattendue entre le classicisme de la technique et l'approche résolument contemporaine du sujet. L'artiste a consacré une part importante de son travail à la représentation de sites portuaires de sa région natale, qu'il a élargie ensuite aux images de chantiers et autres terrains vagues.