Un essai sur l'art conceptuel.
Le 14 avril 1959, Yves Klein se rend à l'Institut national de la propriété industrielle pour enregistrer l'enveloppe Soleau nº 58 972, un moyen commode, rapide et peu onéreux de faire reconnaître ses droits sur une invention. Dans cette enveloppe, cinq projets concernant des jets de feu et d'eau et un tube d'aluminium. Le 2 mars 1960, il recourt encore à l'I.N.P.I. pour déposer cette fois par l'intermédiaire d'une agence spécialisée un brevet pour un « Procédé de décoration ou d'intégration architecturale et produits obtenus par l'application dudit procédé », brevet qui recouvre en fait ses célèbres Anthropométries.
Si ces démarches d'Yves Klein occupent une place exemplaire dans l'essai de Didier Semin, c'est qu'elles portent à son niveau le plus critique des questions qui touchent directement à la définition du droit d'auteur et à l'autorité de l'artiste sur son œuvre. Le modèle du brevet aborde en effet de front le problème de l'œuvre reproductible, mais surtout de la délégation, de la réalisation de l'œuvre par un tiers. En ce sens, c'est un des termes essentiels du contrat traditionnel entre l'artiste, l'amateur, le collectionneur et le marchand qui est remis en question – celui de l'œuvre « autographe », de l'œuvre dont l'authenticité et la valeur sont garanties par la main de l'artiste.
Outre qu'il replace l'art conceptuel dans un contexte plus large que celui dans lequel il est habituellement analysé, Didier Semin dresse le tableau d'une mutation fondamentale de l'activité artistique. Loin de s'en tenir aux initiatives des artistes, il s'attache à examiner leurs répercussions sur l'ensemble de pratiques et de croyances qui constituent l'institution. Face aux problèmes de production et de conservation engendrés par ces nouvelles formes d'art virtuelles apparaissent en effet de nouvelles formes de médiation. Du « musée imaginaire » à l'agence de
Ghislain Mollet-Viéville et à Museum in Progress se multiplient les signes qui annoncent que c'est moins la muséographie que les notions mêmes de musée et de collection qui sont appelées à se transformer.
Didier Semin enseigne l'histoire de l'art à
l'École nationale supérieure des beaux-arts, à Paris,
depuis 1998. Auparavant conservateur au musée
de l'abbaye Sainte-Croix aux Sables d'Olonne,
puis au musée d'Art moderne de la ville de Paris
et au musée national d'Art moderne, il a assuré le
commissariat de nombreuses expositions monographiques
ou thématiques, dont la rétrospective
Kurt Schwitters et, en collaboration avec le philosophe
Georges Didi-Huberman, L'Empreinte, au
Centre Georges Pompidou. Il dirige
la collection des écrits d'artistes de l'ENSBA.