Un workbook de Flatform sur le déplacement, conçu et dirigé par Giuliana Prucca.
1. Snaturamenti est à la fois l'objet et le dispositif du livre de Flatform, artiste collectif opérant à la lisière entre vidéo et media art, cinéma expérimental et art contemporain. La transition des états (spatiaux ou temporels, géographiques ou historiques, phénoménologiques ou climatiques), matière première de sa recherche artistique et philosophique, devient le mécanisme même de déconstruction et de reconstruction de ses films sur la page, opéré par l'auteure et éditrice Giuliana Prucca.
2. Le passage de l'image en mouvement à l'image fixe et au format livre génère en soi un snaturamento, littéralement une altération – presque une falsification – de la nature de l'œuvre originale, qui s'articule toutefois dans un nouveau paysage, où les significations initiales sont déplacées et bouleversent non seulement la structure narrative du film mais aussi la forme classique du livre.
3. Si le paysage est le motif principal du travail de Flatform, non pas dans sa représentation romantique et sentimentale, mais comme un réseau complexe de connexions qui détermine les relations humaines et interspécifiques, dans le livre ce contenu devient contenant et processus. « Unité synthétique du multiple », le livre, grâce aussi à sa taille, emprunte au modèle visuel du paysage d'après Simmel son propre fonctionnement, en traitant séparément, mais en parallèle, la pluralité des éléments qui le composent, afin de montrer la coexistence des états malgré leur changement et de les ramener à la permanence d'une image unique et compréhensive.
4. Comme sur une table d'opération, le travail de Flatform est disséqué de manière presque chirurgicale : le film disparaît dans le livre, mais persiste comme source d'inspiration implicite pour un montage dynamique de matériaux « soustraits » aux archives de l'artiste. Dessins, textes, notes, partitions, masques, séquences alternatives, photographies des backstages et des performances, renderings d'installations, etc., souvent inédits et « collatéraux », côtoient sa production vidéo centrale, dans un exercice poétique et non mimétique des techniques cinématographiques employées par Flatform – telles que le compositing et le décalage audio-visuel – pour raconter, et forcer, les phénomènes naturels et les lois physiques, redéfinir les concepts de temps et d'espace, modifier le paradigme perceptif, transformer le possible en impossible – et vice versa – et créer un équilibre instable entre le prévisible et l'inattendu, entre le contrôle et le hasard, entre la précision obsessionnelle et l'erreur, ou le trébuchement.
5. Le livre est une carte qui ne guide cependant pas dans la désorientation d'un territoire qui, en perpétuelle transition, ne connaît donc ni début ni fin. Pas de concept, mais un percept book qui place au contraire le lecteur/spectateur, à travers une série d'artifices graphiques, au centre de l'expérience réelle du paysage – et de la lecture –, qui n'est pas visuelle et contemplative, mais tangible et immersive.
6. Pas un artbook, mais un workbook, un outil de travail et un mode d'emploi qui construit et dévoile en même temps la mécanique des pages, dont le but n'est plus de montrer, mais de réactiver le geste du regard contre la passivité de la vue et de faire émerger une nouvelle vision de l'aveuglement de l'image.
7. Les catégories étant renversées, le livre perd sa couverture, et donc le périmètre qui détermine son début et sa fin. le contenu est extériorisé et, en même temps, on est directement injectés à l'intérieur, avec le pressentiment que quelque chose commence – ou se termine – ailleurs, hors-champ. Pas seulement ailleurs, mais partout, grâce à quelques cahiers « mobiles » qui se décalent tour à tour au bout du livre. Un véritable displacement, car le déplacement est imposé par le respect du caractère circulaire, et cyclique, que le travail de Flatform véhicule, et contraint par la forme même du livre, qui est tel précisément parce qu'il est relié. ainsi, quatre versions différentes et indépendantes se présentent au sein d'un même tirage, en ayant en latence la possibilité d'être réunies.
8. Cette performance exigée du lecteur pour recomposer les fragments en une totalité donne au livre une dimension interactive et installative au même titre que les œuvres environnementales de Flatform. Elle l'étend, le projette et le verticalise dans un volume extérieur, ce qui a pour effet de snaturare, déformer sa nature horizontale et séquentielle, et de le déplacer dans un espace d'exposition.
Le livre paraît en quatre versions (quatre couvertures et quatre montages de pages différents), distribuées aléatoirement.
Flatform est un « artiste collectif » en activité depuis 2006, basé entre Milan et Berlin. Son travail se situe à la frontière entre l'art contemporain et le
cinéma expérimental, en créant des films, des
vidéos, des installations et des sculptures qui développent une réflexion autour du paysage et de la biopolitique. Distribuées par
Light Cone à Paris et Video Data Bank à Chicago, ses œuvres ont été présentées dans de nombreux festivals de cinéma, dont la Viennale, la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, l'IFFR de Rotterdam, le Festival du film de Venise, le TIFF de Toronto, et ont été exposées dans des musées et institutions culturelles internationales tels que le Centre Pompidou de Paris, la Haus der Kulturen der Welt de Berlin, le Hirshhorn Museum de Washington, le MAXXI de Rome, l'Eye Filmmuseum d'Amsterdam, le Garage Center for the Arts de Moscou.