Thomas Hirschhorn –
L'art est affirmation (p. 51-61)
C'est à l'occasion de la Documenta 2002 que l'entretien a eu
lieu, sur un banc, près de la bibliothèque du Bataille-Monument.
Dans La Part maudite
(1), Bataille développe une théorie de la
dépense, qui détache le concept d'utilité du concept de travail.
Appliquez-vous ce concept à votre propre travail ?
Je n'ai pas essayé de faire l'illustration de l'œuvre de Georges
Bataille. Que le Bataille-Monument soit ici n'a rien à voir avec la
cité, Kassel ou l'Allemagne. Ce n'est pas un travail de concept.
C'est le troisième monument que j'ai voulu faire. Bataille était sur
ma liste et j'ai trouvé bien que le choix de Bataille n'ait pas de rapport
avec Kassel. J'aime l'œuvre de Georges Bataille, et particulièrement
La part maudite et le texte sur la notion de dépense auquel
j'adhère en tant qu'être humain, pas en tant qu'artiste. Je n'ai pas besoin, dans mon travail, de m'illustrer dans ce monument. Je voulais
faire un monument pour lui en tant que fan, fan de
La part maudite et
de
La notion de dépense. Je suis un fan de Georges Bataille !
Pouvez-vous expliquer votre concept de fan ?
Ce n'est pas un concept. Si ça m'intéresse d'être un fan de quelque
chose, c'est parce que le fan n'est pas un historien, ni un scientifique
et il n'est même pas un grand connaisseur : il est un fan ! Il a
quelque chose en commun avec tous les autres fans. Les fans partagent
l'idée d'être, disons-le, absolument pour quelque chose. C'est
pourquoi Georges Bataille est important mais, en même temps, il est
mentalement – je le pense – remplaçable. Un fan de club de football,
il est fan du club de la ville où il est né, ou dans laquelle il vit.
S'il était dans une autre ville, il serait fan du club de football de l'autre
ville. Ce qu'il partage par contre, c'est d'être fan et il le partage
avec le fan de l'autre club de football. C'est pour ça que j'aime cette
notion de fan : elle est quelque part liée à la personne, à moi, et non
à un concept artistique que je développerais ou à une position que
j'aurais par ailleurs, elle est très subjective. C'est un positionnement
personnel et c'est pour ça que j'aime ce terme, « fan ».
Quelle est la différence entre le Bataille-Monument
et celui de l'exposition
La Beauté
, à Avignon, en 2000 ?
La différence tient dans la taille des éléments. À Avignon, il y avait
quatre éléments mais il n'y en avait qu'un qui nécessitait la présence
sur la durée des gens, des habitants de la cité. Ici, il y en a
beaucoup plus. Il y a l'exposition, le « Imbiss », un snack-bar, le
« Studio Télé », la « Bibliothèque » et le « Fahrdienst », le service
de transport, qui tous nécessitent le travail ou l'aide des habitants ou
des jeunes du quartier. Donc le monument est plus développé.
Ensuite, j'ai beaucoup appris lors de l'exposition que j'ai faite à
Avignon. Notamment, qu'il ne faut pas seulement monter le travail ensemble mais aussi l'accompagner dans la durée et s'en occuper.
Ce que je n'avais pas prévu et n'avais pas fait à Avignon. Le résultat
a été qu'on a dû démonter le
Deleuze-Monument deux mois plus
tard parce que la réalité du quartier avait pris le dessus. Je me suis
dit que, cette fois, je devais être présent, dans le quartier, pour m'occuper
du travail, pas en tant qu'artiste mais plutôt comme un
concierge, qui répare, ou qui vérifie que c'est réparé, qui paye, qui
met l'électricité, qui répare les trous dans le toit et qui règle tous les
problèmes du quotidien.
On pourrait dire que vous faites partie intégrante du Bataille-Monument
, beaucoup plus que ce que l'on constate en général
entre les artistes et leurs œuvres.
Non, je ne me vois pas comme partie intégrante du projet. Il y a huit
éléments que j'ai réalisés. Cela aurait pu éventuellement être
quelqu'un d'autre. Mais je trouve normal d'être sur place. C'est un
acte de respect que de ne pas laisser les habitants s'occuper seuls du
projet. C'est pour cela que j'ai pu faire mon travail sans aucun compromis
sur le contenu.
Des enfants s'approchent de nous.
Garçon turc : Habt ihr auf französisch geredet ?
Hirschhorn :
Ja, wir reden französisch.
Garçon : Was heißt wie geht's dir ?
Autre garçon : Ça va.
Hirschhorn : Ça va. Heißt, es geht mir gut.
Autre garçon : Comment ça va ?
Garçon : Was heißt : Wie heißt Du ?
Autre garçon : Comment tu t'appelles ?
Hirschhorn : Je m'appelle Thomas Hirschhorn.
Stech : Je m'appelle Fabian Stech.
Les gens ont déjà peur de voir l'œuvre partir. Pour vous, par contre,
cette « antimonumentalité » était par définition très importante.
C'est très important. Je me suis engagé à démonter le monument. Il
y a peut-être un malentendu sur l'aspect social de ce travail. Pour
moi, c'est un projet artistique, qui englobe des gens d'ici, des habitants
et des jeunes du quartier. Le projet a besoin du travail des gens
du quartier. Mais je ne suis pas un travailleur social. Les jeunes peuvent
gagner un peu d'argent avec ce projet et du coup se posent la
question : qu'est-ce qu'on fait après ? Ce qui me permet d'avoir un
dialogue avec les gens, c'est mon travail, mon projet. Cette question
révèle un malentendu mais en même temps, elle est légitime. Je fais
mon travail et je me dis qu'on ne sait jamais, peut-être qu'il y a des
choses qui vont changer. Peut-être que quand le travail sera
démonté, il se passera encore des choses. L'expérience continuera
et une mémoire s'installera.
Est-ce que c'est un aspect subversif de votre travail ?
Je n'ai jamais pensé à quelque chose de subversif. Je n'ai jamais
voulu faire quelque chose de provocant non plus. Je veux me
confronter au réel. Me confronter au temps dans lequel je vis. C'est
ça le moteur de ce projet et de mon travail en général.
L'œuvre a-t-elle vocation à être remontée et ensuite à être exposée
autre part ?
Ce n'est pas exclu, mais ce n'est pas dans mes projets pour l'instant.
Mais si elle devait être remontée, il faudrait que ce soit exactement
avec les mêmes éléments, dans un lieu comparable et avec des gens
à peu près dans la même situation qu'ici. J'ai voulu travailler dans
cette cité, parce qu'elle est mentalement transportable dans d'autres
cités, d'autres villes, sur d'autres continents.
Deleuze a dit que le travail d'un philosophe consistait à fabriquer
des concepts. Qu'est-ce que le travail d'un artiste ?
Je viens de le dire, c'est l'art. L'art est un outil pour se confronter au
monde. C'est un outil pour affronter le réel et l'époque dans laquelle
on vit. Je veux me confronter au temps qui s'écoule, aujourd'hui.
On vous a reproché, à propos du Deleuze-Monument d'utiliser des
penseurs difficiles d'accès. Les gens d'ici lisent-ils Bataille, Deleuze ?
J'expose mon travail à toutes les critiques, mais cette critique ne me
touche pas, car je ne pense pas que l'on puisse dire qu'un artiste, un
écrivain ou un philosophe n'est pas compréhensible. On peut dire
qu'on ne le comprend pas, mais dire qu'il n'est pas compréhensible
pour tel public et notamment pour les gens de tel quartier à Kassel, ça
n'a pas de sens. Je défends fermement l'idée que s'il l'on est réceptif,
si on intéresse, si on en a l'envie et si la situation est propice, on
peut comprendre tout un chacun. Deleuze ou Spinoza disait qu'il voulait
« être un philosophe pour tous les philosophes, les critiques, les
connaisseurs des philosophes et les amateurs de philosophie mais
également pour celui qui n'a jamais touché à la philosophie ». Je ne
suis pas là pour comptabiliser ce que les gens lisent ou ne lisent pas
dans la bibliothèque. L'important c'est qu'ils aient la possibilité de
lire. J'ai voulu offrir cette possibilité.
Votre travail ne cherche pas la « qualité » : Energie : Oui – Qualité :
Non
. Que représente cette idée d'énergie pour vous ?
C'est d'abord le refus d'un critère. Dans le monde de l'art, trop souvent,
les gens essaient de classifier les œuvres selon un standard de
qualité, qui est – et c'est cela que je critique – le standard de qualité
des pays développés, des pays riches de l'Ouest et du Nord. Cette
façon de procéder exclut les autres. Deux tiers de la population
mondiale luttent pour survivre économiquement. Ils ne peuvent pas
se poser la question de la qualité, mais ils possèdent quelque chose
qui est de l'ordre de l'énergie. Nous utilisons trop de classifications
pour ériger des barrières. Je hais cela, voilà pourquoi : Énergie :
Oui ! Qualité : Non !
N'imposez-vous pas tout simplement une nouvelle idée de la qualité
sous le nom d'énergie ?
Non, quand je parle d'énergie, je m'intéresse autant à la mauvaise
énergie qu'à la bonne. Car même une mauvaise énergie peut se rencontrer
dans une œuvre et être captée par les gens. Les gens ne comprennent
pas forcément, mais ils saisissent cette énergie. C'est pour
cela que je trouve que le terme « énergie » n'est pas lié à l'échelle
du « bon » ou du « mauvais », du « bien » ou du « mal ». Il y a juste
de l'énergie ou pas d'énergie.
N'est-ce pas extrêmement subjectif, ce terme d'énergie ? N'est-il
pas lié au concept d'énergie de Georges Bataille ? N'aurait-il pas
tendance à devenir ésotérique, soit un concept qui ne serait pas
accessible à l'autre ?
Non, c'est la qualité qui est peu accessible, codifiée. Les critères de
qualité divergent selon les pays, les niveaux de vie, la culture. Le
concept d'énergie, lui, est plus subjectif mais en même temps il est
global parce que l'énergie d'un Chinois, d'un Canadien, d'un
Africain ou d'un Suisse, ou du travail d'untel, cette énergie, je peux
la saisir. Cela demande plus de courage, plus de jugement personnel
et en même temps cela englobe plus.
Vous avez cette tendance au global, au plus d'énergie, plus de spectateurs,
plus d'ouverture vers l'autre, toujours plus…
C'est que je pense que quelque part il n'y a pas assez de travail, que
ce n'est pas assez fort ; d'où cette idée d'ajouter quelque chose.
J'essaie d'abord de voir, tout simplement, de ne pas contrôler, d'être
moi-même en surrégime, puis d'être débordé, déstabilisé. Bien que
ce soit très difficile à supporter, c'est par ce biais qu'on connaît parfois
des moments de beauté ou des moments de justesse, très courts
mais très subjectifs. Ce sont eux qui permettent d'en faire trop, d'en
faire toujours trop. Ce n'est pas parce que je suis obsédé, je ne suis
pas obsessionnel, mais je pense que cette « autodéstabilisation » est
nécessaire pour atteindre des moments justes, des moments de
beauté. Voilà à quoi sert le « sur-régime ». Exagérer, c'est, encore
une fois, essayer de se surpasser. Si je ne prends que la responsabilité
de ce que je contrôle, ce n'est pas de la responsabilité. C'est le
droit ou c'est la loi. Je veux prendre la responsabilité de quelque
chose qui me surpasse, qui est trop pour moi. C'est là que je peux
faire une expérience.
Par rapport à la qualité, votre théorie s'applique-t-elle aussi aux
matériaux ? J'ai l'impression qu'avec votre travail, vous imposez
d'autres matériaux, ce qui bouscule la hiérarchie qui existe entre
les matériaux de valeur et ceux considérés sans valeur.
Non, je ne suis pas d'accord. J'utilise mes matériaux parce qu'ils ne
représentent pas une plus-value. Ils n'ont pas au départ un surplus
de valeur artistique, ce sont des matériaux qu'on peut utiliser pour
faire de l'art, comme je le fais. Mais on peut les utiliser aussi pour
faire une cabane dans son jardin, un meuble ou autre chose. Ce sont
des matériaux que je choisis « politiquement », pour ce qu'ils sont
et aussi pour ce qu'ils ne sont pas. Ce ne sont pas des matériaux
nobles, des matériaux exclusivement utilisés dans des démarches
artistiques. Là, c'est l'aspect plastique des matériaux qui m'importe, qui, par leur utilisation même, nécessite du travail. C'est-à-dire que
ce ne sont pas des matériaux qu'on peut accumuler artificiellement
ou industriellement. Pour faire « grand », il faut travailler plus.
Mais d'autres matériaux comme le bronze, la peinture, les matériaux
traditionnels demandent également du travail, non ?
Évidemment, le marbre nécessite du travail, mais surtout il a une
plus-value en tant que tel. Pour le travailler, il faut un savoir spécifique.
Je veux éviter cette maîtrise d'un matériau, les traditions. Je
veux le travail à l'état pur sans son côté artisanal. La notion de qualité
ne doit pas intervenir.
Pouvez-vous expliquer la différence que vous faites entre un autel,
un kiosque, un monument et la sculpture directe ?
Les kiosques sont des projets dans l'espace public, mais à l'intérieur.
À l'université de Zurich, c'était un projet qui a duré quatre
ans. J'ai fait huit kiosques différents, chacun étant dédié à une ou un
artiste, un écrivain ou une femme écrivain. C'était des sortes de
champignons qui se greffaient sur une architecture existante, neutre
et fonctionnelle. Ce projet est terminé. Les kiosques ne nécessitaient
d'ailleurs pas de suivi. Les autels, c'est une intervention à
l'extérieur, dans la rue, et ils font référence à des autels construits
par des gens pour célébrer des personnages connus, comme J. F.
Kennedy Junior, Olaf Palme ou Lady Di, mais également des
motards qui se sont tués contre un arbre auprès duquel quelqu'un
apporte des fleurs ou des bougies. Ils ont une puissance plastique.
Les gens respectent ces autels parce qu'ils sont liés à une personne,
même si souvent ils ne la connaissent pas. Ils partagent l'acte de rendre
un hommage à quelqu'un. J'ai fait quatre autels. Le monument
est plus conséquent et plus personnel. C'est aussi un travail qui est
limité dans le temps. Le monument, c'est une forme non architecturale,
un noeud avec plusieurs sens, telle une sculpture, c'est un « meeting point », un lieu de rencontre, de mémoire. Un lieu où l'on
peut boire une bière ou avoir une discussion. Le monument est
consacré à la mémoire de quelqu'un. C'est un endroit dans la cité
ou dans la ville. Un monument est plus complexe qu'un autel, qu'un
kiosque ou qu'une sculpture directe. Ce n'est pas seulement « I love
you ». Le monument peut être détourné ou rejeté par les gens qui
habitent autour. Il y a une référence aux monuments de l'ancienne
Allemagne de l'Est que l'on a démontés. La question du lieu est
importante. Le monument nécessite plus de réflexion. Est-ce que je
le monte dans un lieu historique, central, stratégique ou est-ce que je
le monte là où les gens habitent, dans la périphérie ? La sculpture
directe est un travail pour l'intérieur, pas pour l'espace public. Je
n'ai jamais fait de sculpture à l'extérieur dans une galerie ou un
musée. La sculpture directe s'inspire d'une statue existante, détournée.
La statue avec la flamme de la liberté à Paris, par exemple, que
personne n'a jamais regardée et qui est devenue un lieu de pélerinage
après la mort de Lady Di
(2).
Par rapport aux choses qui sont exposées, l'information dans vos
œuvres est une surenchère. Est-ce que ça ne fonctionne pas comme
cette surenchère d'informations dans les mass médias ?
Non, parce que cette surenchère est de l'ordre de l'excès. C'est
volontairement démesuré. Or, dans l'information, ce n'est pas le
cas. On pense que l'on a besoin de tout. La volonté est de tout comprendre.
Ici, je veux que ce soit trop. Le spectateur doit voir que
c'est trop. Et il doit choisir ce qui est important pour lui. Ça peut
être un extrait. C'est pareil pour les textes, ça peut être une phrase,
quelques lignes. Ici, je veux que le trop se montre et se voit. Je ne le
cache pas. On comprend qu'il faut réagir différemment par rapport à cette surinformation. Dans les médias, on a l'impression qu'on peut
tout comprendre. Comme c'est fait pour que l'on comprenne, le
spectateur se livre à l'information. Ici, c'est l'inverse : c'est moi qui
donne, c'est moi qui donne trop, c'est d'abord moi qui ne comprends
pas !
Par rapport à ce don et à l'acte politique qu'il représente dans ce
contexte, j'aimerais savoir si vous pouvez concevoir de travailler de
manière plus directe en politique, comme Beuys par exemple, qui
s'est engagé dans un parti politique.
Non, parce qu'avec son engagement, Beuys a montré les limites de
cette démarche. Il a eu certes le courage de le faire. Les
7000 Eichen est un projet magnifique. Mais il y a une grande différence avec ce
que je fais. Ce qui m'intéresse, c'est de ne pas rentrer dans la politique,
de ne pas en faire du tout. Beuys l'a fait de manière généreuse,
superbe, et aussi pour montrer, je pense, que ce n'est pas le
chemin à suivre. Maintenant, plus de vingt ans ont passé, c'est cette
leçon d'art que j'ai compris, même si je n'ai pas été son élève…
Pensez-vous la même chose à propos de la politique parlementaire
et à propos des groupes comme Attac ?Les gens d'Attac font leur travail. J'essaie de faire le mien. Je suis
un artiste. J'essaie d'utiliser l'art pour dire ce que j'ai à dire, pour
ce qui m'est propre et j'essaie d'agir librement. L'art, c'est mon
outil. Ce que je dis, c'est : dans ce quartier, vous avez aussi besoin
de l'art. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé, il y a treize ans,
d'être un artiste. On a besoin de l'art et on a besoin de la philosophie,
mais on n'a pas besoin de culture. C'est à ce niveau-là que se
situe la différence entre un travailleur social et quelqu'un qui mène
une carrière politique, entre quelqu'un qui est engagé dans une lutte
politique et un artiste. Je suis convaincu que l'art est nécessaire en
général. Le travail de tout artiste est nécessaire.
L'art et la politique sont finalement coupés l'un de l'autre. L'art est
naturellement politique, mais on ne peut pas vraiment rentrer au
moyen de l'art dans le champ de la politique.
Ce que je veux, c'est essayer de lier des choses qu'on ne peut pas
lier. Et je veux toujours savoir pourquoi je fais les choses. Ainsi, j'ai
voulu faire de l'art dans une cité et travailler avec ses habitants, et
ce, même si certaines personnes ne sont pas honnêtes, ou ne travaillent
pas bien, ne sont pas précises, pas ponctuelles. Cela fait partie
intégrante du projet artistique. J'ai eu beaucoup de problèmes : à
l'intérieur du projet, des gens ont voulu exclure celui-ci ou celui-là
parce qu'il avait déconné ou parce qu'il ne leur plaisait pas. En
même temps, la seule chose qui me permet de travailler avec tout le
monde sans exclure personne, c'est mon projet, qui est un projet
d'art. C'est un travail qui fait le lien avec la politique, qui pose la
question du social. Des projets politiques ont débuté autour d'une
grande utopie, et au fil du temps, se sont compromis, ils n'étaient
plus utopiques. L'art me permet de rester utopique. Je travaille politiquement
mais je ne fais pas un travail politique. Même des mouvements
comme Attac sont amenés à faire des choix politiques qui
ne sont plus très utopiques, mais liés à des considérations de pouvoir.
L'art ne veut pas le pouvoir. L'art n'a pas besoin d'autorité.
Vous êtes idéaliste ?
J'espère bien que je suis idéaliste.
Il y a de nombreux travaux documentaires autour des cités qui utilisent
la photographie. Dans votre œuvre, la photographie ne tient
pas une place importante. Pourquoi ?Le constat ne m'intéresse pas. Le constat photographique, c'est
certes utile, mais je veux affirmer les choses, je ne veux pas les
constater. L'art est affirmation.
1. Georges Bataille,
La Part maudite, précédée de
La Notion de dépense, Paris, Éditions
de Minuit, 1967.
2. Statue placée au-dessus du tunnel du pont de l'Alma, dans lequel a eu lieu l'accident de
Lady Di. Elle est située près du Palais de Tokyo, Place de l'Alma, 8e arrondissement.