Postface
(p. 259-260)
Malgré ou bien grâce à la conviction qu'un artiste est solitaire et que son
rapport avec la société est marqué par des malentendus et des incompréhensions,
Zaugg chercha la discussion et la coopération. Les entretiens
furent pour lui l'expression de l'estime de l'autre pour ce qui constituait
ses propre intérêts. On ne peut pas se reconnaître en l'autre, disait-il,
mais on peut se connaître, dit-il en 1983 (
Écrits complets, vol. 5, p. 105)
à propos de sa collaboration avec
Jean-Christophe Ammann, alors directeur
de la Kunsthalle de Berne, et avec l'artiste
Balthasar Burkhard. Le
tout premier entretien – fictif – eut lieu avec le tableau de Cézanne dans
les années 1960 (
Écrits complets, vol. 1). Depuis, le principe dialogique
était important pour se comprendre et pour se faire comprendre par
l'autre. Cette attitude fut certainement renforcée par les discussions avec
l'ethnologue Jacques Hainard autour de 1970 : on sait qu'en ethnologie,
l'entretien est la méthode la plus importante pour accéder à la représentation
qu'un étranger se fait du monde ; et c'est aussi en ethnologie qu'on
réfléchit à l'influence que prennent activement le questionneur et
l'observateur.
À part l'intérêt permanent d'un échange personnel sur des questions
esthétiques et éthiques avec les personnes qui l'entouraient, Zaugg a
mené quatre dialogues concrets avec l'idée de les publier. D'abord, on
pense que le choix des partenaires de dialogue s'était fait par hasard, au
cours des années, en lien avec les projets entrepris. Mais en regardant
de plus près, cela semble être un projet global avec quatre représentants
professionnels du monde de l'art : avec le dessinateur et philosophe
Pierre
Klossowski en 1980-1981 (
Écrits complets, vol. 5, p. 9-69), avec les architectes
Herzog & de Meuron en 1995 (
Écrits complets, vol. 7, p. 129-183),
avec le collectionneur Jean-Paul Jungo en 2000 (
Écrits complets, vol. 7,
p. 207-249) et – le plus détaillé – avec le commissaire d'exposition Jean-Christophe Ammann, entretien mené en 1988-1989, publié en français
en 1990 et en allemand en 1994. Ammann était l'un des premiers à avoir
développé un discours personnel sur l'activité de commissaire d'exposition.
Pour Zaugg, il incarnait, de manière analogue au Hollandais Rudi
Fuchs, avec qui l'artiste a collaboré plusieurs fois, un nouveau type
de partenaire. L'un comme l'autre n'incarnaient plus le « conservateur fonctionnaire », mais ils portaient leur attention sur la répartition des
rôles entre le commissaire d'exposition et l'artiste. Par là, ils se distinguaient
de Harald Szeemann qui avait considéré ses expositions comme
des visions globales, à caractère mythologique, dont les positions artistiques
étaient un des éléments (
Écrits complets, vol. 7, p. 35-51).
Divisé en chapitres thématiques, l'entretien entre Zaugg et Ammann
trace une image de la fin des années 1980, et est dès lors un document
historique sur une époque dans laquelle le profil professionnel du
commissaire d'exposition est en train de se constituer.
Eva Schmidt