Introduction
Rachel Valinsky
(extrait, p. 12-14)
En 1980, la Dia Art Foundation, fondée six ans plus tôt par Philippa de Menil, Heiner Friedrich et Helen Winkler, publiait le premier recueil de sa « collection poésie ». Le livre de Rene Ricard, Rene Ricard, 1979-1980, marque à la fois la naissance et le déclin de cette collection. Le livre – ce livre – témoigne de la rencontre entre une jeune institution artistique et les poèmes flamboyants d'un jeune poète, se frayant un chemin à travers les milieux mondains, littéraires et artistiques de New York. La voix singulière de Rene Ricard se fait alors entendre, vigoureuse et fragile, décrivant ses amants, ses ennemis, son désir de vengeance, sa lassitude des riches, ses chagrins, ses déboires sociaux, et son sens absolu du présent. Elle résonne aujourd'hui encore avec une force vive.
L'histoire raconte que Rene Ricard laissa derrière lui un environnement familial très perturbé et une Boston sexuellement et socialement exténuée pour se frayer un chemin jusqu'au seuil de la Factory d'
Andy Warhol, à New York. Le dossier de presse qui fut distribué lors de la publication du livre répète ce récit, soulignant la précarité des poèmes et de leur venue au monde : « On peut penser que Rene Ricard aurait pu ne jamais arriver jusqu'à nous, que les profondeurs d'une culture gonflée aux amphétamines, que les sommets atteints par une société du pop art auraient pu le manquer, s'il ne s'était jeté au devant de l'époque – en 1965 pour être exact ; c'était alors un tout jeune adolescent, très mince, très timide, qui quittait Boston en stop pour se rendre à New York, désireux de rencontrer le beau monde dont il avait entendu parler dans les journaux et les revues d'art. »
Il développe une étroite amitié avec le poète, éditeur, photographe et collaborateur des Screen Tests d'Andy Warhol,
Gerard Malanga, qui sera plus tard engagé par Dia pour coordonner le processus éditorial de publication du livre. Ce processus, comme le révèle une conversation avec Malanga et des recherches dans ses archives déposées à la Beinecke Rare Book & Manuscript de l'université de Yale, se révèle difficile, parfois pénible. La vie sociale de Rene Ricard, mouvante et agitée (il vivait souvent chez des amis, et, plus tard, sa chambre du Chelsea Hotel servira essentiellement de réserve), entraîne des retards dans le travail d'édition et de mise en page du livre à des étapes cruciales. Il a tendance à éparpiller et à perdre ses poèmes, par exemple, rendant essentiel le travail de Malanga pour les collecter, les préserver et les organiser (en cela, au cours des années, il ne sera pas le seul). Rene Ricard est intransigeant au sujet de la maquette du livre. En témoigne cette couverture bleu Tiffany, en tous points analogue au catalogue du joaillier – jusqu'au pelliculage : « Tout ce qui tendrait à nous éloigner du prototype d'un catalogue de Tiffany serait une faute », donne comme instruction Gerard Malanga au graphiste, Bruce Chandler, dans une lettre du 27 mars 1979. Rene est souvent injoignable. Malanga écrit, dans un courrier urgent du 17 février 1979 adressé à l'auteur : « Rene : ceci est le dernier effort qu'Eileen [Bresnahan, une amie] et moi faisons pour te joindre afin de te donner les dernières épreuves [de ton manuscrit]… Comme de nous deux je suis le seul qui aie un téléphone, c'est à toi d'entrer en contact avec moi… OÙ ES-TU !!!!? »
(...)