Théâtre et violence -
Les configurations du sujet dans le travail de Catherine Sullivan
Sebastian Egenhofer
Ces dernières années, Catherine Sullivan a développé une œuvre complexe, vaste et difficile.
Aux frontières du film, des arts visuels et de la pratique théâtrale (son point de départ
et ce qui reste encore aujourd'hui le point focal de son travail), elle a mis au jour les cheminements
de ce qui serait un prolongement cohérent et rigoureux de la critique de la représentation
telle qu'initiée par la modernité, choisissant de laisser en arrière les réductions
et le purisme d'une « abstraction » formellement incomprise. Dans un espace
culturel envahi d'images, il n'y a sérieusement plus de place pour un iconoclasme un tant
soit peu efficace qui se priverait de l'image, surtout quand il se doit d'être une analyse de
leur genèse, des forces et pouvoir qui s'y montrent à l'œuvre. Contrastant avec la problématique
de l'authenticité de soi, revisitée aujourd'hui par le biais d'une sorte de « néoromantisme
», le travail de Sullivan est à la recherche de la genèse et des conditions
d'existence de masques individuels, décrivant une figure du sujet qui, loin de se confondre
totalement avec son image, conserve plutôt la position instable de celui qui vole, passant
de l'un à l'autre. Le théâtre en tant que site par excellence de la production et de
l'échange de ces masques, constitue donc le terrain concret du travail de l'artiste et s'impose
comme le paradigme conceptuel utile à son analyse.
Les pièces de Sullivan, ses performances, ses films et ses textes théoriques déplacent
l'artificialité constitutive du jeu scénique au sein d'une perspective « anthropologique »
de base. Le théâtre (ou jeu scénique) devient un modèle où, à travers la pression et les
contraintes du rôle, se trouve défini le formatage de l'identité personnelle, et ce de manière
exemplaire, par le biais d'une forme identifiable, réitérable et signifiante
(1). Pour
Sullivan, le jeu scénique occupe la ligne de front d'un combat qu'elle décrit en tant que
« drame secondaire », un combat visant la péréquation des rapports de forces entre « silhouette
dramatique » et corps qui l'habite (est censé l'étoffer ou encore l'« animer ») :
entre le corps qui endosse les traits essentiels du rôle et le « corps vivant » de l'acteur
(2).
Car s'agissant du drame secondaire, il tire son existence de ce conflit matériel, réel, aigu,
proprement inhérent à la représentation dramatique et qui, dans le théâtre réaliste ou naturaliste,
lorsque sinsinue la disparité entre « silhouette » et « corps », fait uniquement
figure d'erreur, là où précisément la conception théâtrale moderne choisit quant à elle explicitement
d'intervenir
(3).
La réflexion sur le conflit de pouvoir – qui est au centre de la représentation théâtrale et
de la pratique du portrait – constitue l'arrière-plan de l'installation vidéo (à double séquence
d'images) intitulée
Gold Standard (hysteric, melancholic, degraded, refined), datant
de 2001 : une sorte de cellule souche pour le travail de Sullivan. Plus nettement que
dans ses installations ultérieures intitulées
Big Hunt (2002) et
Ice Floes of Franz Joseph
Land (2003), on y constate un déploiement volontairement réduit du medium vidéo/film.
Sullivan se force ici à faire sans fioriture d'image ou de son, sans cette panoplie d'effets
techniques (grain, décalages chromatiques) qui, dans l'art vidéo actuel, dénote souvent
plus la fétichisation esthétique qu'une véritable approche auto-réflexive du médium. Le
travail de la caméra, le montage et la configuration de l'image, tirent du côté de l'efficacité
documentaire. L'œuvre se noue d'abord dans la conception du contenu et de la forme
des « chorégraphies » elles-mêmes, voire encore dans la précision de la réalisation théâtrale,
de sa finalisation « corporelle ».
Les deux boucles, d'environ huit et douze minutes, enregistrent les adaptations d'une
scène tirée du film d'Arthur Penn de 1962 intitulé
Miracle en Alabama (The Miracle Worker),
qui raconte cet épisode de l'enfance de Helen Keller (devenue aveugle et muette à
l'âge de dix-neuf mois) où, à sept ans, elle fait l'apprentissage du « langage ». Sullivan
s'empare ici d'une séquence du film, un moment central et plutôt comique, lorsqu'Helen,
en dépit de sa vigoureuse capacité de résistance, est supposée apprendre à se servir d'une
cuillère pour manger : scène que l'artiste interprète comme un modèle épistémologique
où, à partir de la confrontation du « langage » vu comme pouvoir civilisé (sous la forme
étroite des « bonnes manières » à table
(4)) et du vécu de la réalité corporelle, il sera possible
de jeter les bases d'une dramaturgie secondaire. La complexion des gens et leur
conflit dans le film de Penn construisent le rideau de scène des motifs devant lequel l'interprétation
(qui tire vers l'abstraction) de Sullivan va pouvoir acquérir un profil.
Miracle
en Alabama renvoie, au cours de scènes extrêmes, d'une grande densité, à la tentative
d'Annie Sullivan, le professeur privé d'Helen, d'ouvrir l'enfant, décrite comme presque
« autiste » – la métaphore centrale du film – à une possible appréhension de son environnement
via une communication linguistiquement structurée et qui, poussée à ce point,
ne lui est accessible qu'à travers une alternance, ou un mélange, réunissant résistance et
satisfaction des besoins. Nécessairement, la conception surréaliste latente qui préside au
film, fait apparaître Helen comme une « sauvage », un morceau de vie à l'état brut, prise
au piège d'un ici et maintenant indéfini, anarchique, caractéristique d'un monde étroit,
et pourtant sans mesure, un monde idiosyncratrique. Briser l'isolement, se libérer du fait
d'avoir été coupé de toute vie sociale, c'est en même temps se lancer dans une violente
colonisation par le sens, ou le biais d'un ordre symbolique, de ce désert deleuzien. Une
colonisation dont le principal moyen est un alphabet pour sourd-muet, que l'enseignant
épelle sur la main d'Helen. Le « langage » ou le mot, et avant cela la lettre abstraite et
privée de sens, tel est le coin qui fendra la coquille. Et le film se termine sans qu'au plan
dramatique il nous soit possible d'échapper à cette épiphanie qu'est le moment pathétique
où Helen identifie eau et EAU, rejoignant ainsi la civilisation à l'occasion de ce second
baptême.
Au sein de la structure propre à la lutte de pouvoir physique et psychique pour éduquer
Helen, on assiste dans l'espace de narration à une externalisation et au dédoublement du
conflit propre à la dramaturgie secondaire. C'est ce qui apparaît clairement, et de façon
notoire, avec l'une de ces séances d'apprentissage où, sous la conduite du professeur, il
s'agit là de renoncer à ces grimaces expressives que la suraccentuation rend évidentes.
La « vie » (qui fait qu'Helen existe ou via laquelle elle existe), est par définition impossible
à représenter et sans signe. D'une certaine manière, elle n'a aucun visage. La tâche
consistant à représenter ce phénomène inreprésentable fait d'elle un cas à l'intérieur d'un
paradigme destiné à la structure schizophrénique du jeu scénique. La performance subtile
de la jeune actrice, Patty Duke, consiste à transformer son visage en une surface qui
se laisse infiltrer plus que façonner par l'expression, et où la mise au clair des traits signifiants
trouve progressivement à s'inscrire. En dépit de sa visée téléologique et de son
interprétation positive dénuée d'ambiguïté quant à « l'ouverture par et pour » le « langage
», le film ne fait pas l'impasse sur la violence à travers laquelle le « langage », avant
qu'il ne soit « langage », se matérialise. Déjà, l'usage pratique de l'alphabet pour sourdmuet
impose le tapotement continu d'une série de petits coups. L'état irrésolu d'un « langage
» qui n'a d'autre choix que de mettre en avant la formalisation d'une résistance,
voilà l'aspect que souligne l'interprétation de Sullivan. Par contraste avec l'entraînement
tactile et sublimé dont la main fait l'objet dans le film, Sullivan donne à ses deux adaptations de cette scène d'alimentation (traitée un peu à la manière d'un sketch), l'ampleur
d'une chorégraphie plutôt raide où c'est le corps entier qui doit devenir écriture. Un coup
n'est pas un geste même si pour une part son essence est « d'occasionner l'arrêt, le désistement
». Et un coup échangé, et qu'on échange à nouveau, voilà qui fait déjà signe.
L'effet répétitif et le fait de l'échange sont, au niveau identitaire formel, les moyens les
plus incisifs pour l'introduction de structures signifiantes lors de la confrontation des
corps. Le « langage » débute avec le rythme, la répétition, et en retour le paiement compensatoire
de la résistance physique. En accédant ainsi à une relation d'équivalence ou
à une forme qu'il est possible de répéter, la violence inaugure le défrichage d'un sentier
menant à une possible communication.
La plus courte des deux boucles est relativement proche de l'original quant au découpage
séquentiel des mouvements et à la définition des personnages. C'est une version « hystérique
», au comique grossier. Helen Keller est jouée par un homme barbu avec une perruque
à frange, vêtu d'habits d'enfants trop larges. Comme dans le film de Penn, le corps
est d'une certaine manière relégué à un état primitif échappant à n'importe quelle signification
organisée, cependant libre de toute explication narrative quant à cet état. Les indices
de la cécité manquent en grande partie. Au plan de l'expression, l'assurance du jeu
du visage évoque plutôt une personne voyante. Les séquences où ça bouge sont violentes
et explosives, un flux continu où le maître, là encore joué par un homme, use de sa force
physique, pour bloquer le passage ou guider par contrainte. Dans la version plus calme,
« mélancolique », l'actrice qui joue Helen se meut de manière certes saccadée, mais avec
précision, évoquant plus le style d'un ballet mécanique. Par contraste avec le personnage
« hystérique », chacun de ses mouvements s'impose comme un signe gestuel inscrit dans
l'espace symbolique. Cependant, atteignant le point extrême du contrôle corporel, pareille
articulation expressive tourne vite à la pure rythmique mécanisée. Le corps « mélancolique
» devient une fois de plus dénué d'expression et son opacité persiste par-delà
la sphère du sens. Il donne alors l'impression de s'être soumis sans offrir de résistance
au rythme du « langage » qui le porte. Le rôle du professeur (qui dans la version « mélancolique
» est également joué par un homme), dont les interventions en matière de guidage
se limitent surtout à des signaux tactiles, abstraits, corrobore – dans les deux versions –
l'approche retenue pour le personnage principal, visant par là à mettre son jeu au service
de la mise en scène. En fait, Sullivan concentre son attention sur le moment de résistance
dans le comportement de la figure centrale, pour mieux faire ressortir la polarité entre les
deux versions opposant la rébellion « hystérique », « sauvage », à l'imperméabilité apathique,
sophistiquée, d'un corps « mélancolique », quasiment mécanisé.
Du fait du dispositif en cercle, de la projection sans fin, et par cette insistance à se situer
hors du contexte narratif – le contenu de la scène –, on perçoit le topos de la maîtrise
disciplinaire du corps comme l'axiome à la base de la conception chorégraphique. Sa
structure auto-réflexive identifie le travail à l'agencement d'une analyse générale, abstraite
et pointue, des relations de pouvoir, une « microphysique du pouvoir » pour laquelle
l'ingestion de la nourriture fournit un contexte d'exemplarité renforcée. L'ingestion de
nourriture sous la contrainte, pénétration violente du corps d'autrui, et la résistance qu'on
lui oppose, sont, en tant que motifs constants, les facteurs matériels qui maintiennent en
mouvement les partis pris chorégraphiques abstraits de l'artiste et déroulent le cercle de
l'auto-réflexion pure sur un horizon plus anthropologique, intrinséquement politique. Avec
ce topos du pouvoir, la nutrition, et le masque/transformation auquel elle fait explicitement
référence dans
Gold Standard et dans d'autres travaux en relation, Sullivan doit
plus au
Masses et pouvoir de Canetti qu'à la
Microphysique de Foucault
(5). Dans l'anthropologie
de Canetti, la
transformation est la voie détournée (resserée) conduisant à l'envolée
spatiale. Le corps « hystérique » qui, à travers diverses transformations, tombe sous
l'emprise d'un pouvoir supérieur renvoie au modèle du vol circulaire, avec ses tentatives
de débordement pour rompre le cercle de l'identité localisée, objectivée, qui l'enferme.
Les exemples que choisit Canetti dans l'univers des mythes sont les métamorphoses de
Protée sous l'emprise de Ménélas (lion , serpent, verrat, eau, arbre) et de Pelée (eau et
feu, lion, serpent, pieuvre) cherchant à conquérir Thétis. Le corps « mélancolique » a
quant à lui renoncé à ce vol illimité, sorte de repliement dans les images. Il se conçoit
comme « déjà happé… au long d'une pente descendante : proie, nourriture, cadavre ou
excrément
(6) ». Ce qui en complément suppose donc que « la personne mélancolique ne
veut pas manger… ». Une paralysie qui serait née de la culpabilité d'avoir mangé. Car
c'est à la mort qu'on doit d'être en vie : le corps vivant étant vu comme sédiment d'une
proie tuée, digérée c d'un temps associé à la mort.
Reste qu'en opposition à cet arrière-plan, l'imperméabilité apathique du corps « mélancolique
» – également déterminant pour le style d'autres chorégraphies de Sullivan (dont
certains passages dans
Big Hunt où il est fait appel au même interprète, Jennifer Kingsley)
– peut éventuellement être mise en relation avec un moment de l'histoire de l'art au
cours duquel, dans la danse et le théâtre, les masques d'expression ont été forcés à quitter
le corps. Avec le Minimalisme, la dramaturgie secondaire se voit subvertie. On n'oblige
pas le corps à être autre chose que lui-même, un véhicule non-signifiant, le matériau à
modeler dans toute sa pesanteur et « sa dimension physique vierge de toute mise en valeur
et qu'on ne peut sublimer » comme a pu l'écrire Yvonne Rainer
(7). Dans la danse minimaliste,
comme pour la peinture et la sculpture (au seuil de devenir un art d'objet et
un art d'installation), on atteint un point extrême de la « critique de la représentation ».
Les gestes expressifs et le jeu des traits du visage, les images théâtralisées du sens et
leurs effets d'intériorité, tout cela a été éliminé. A travers la tension des mouvements de
type pendulaire comme ceux de la pièce intitulée
Trio de Rainer, ou dans les performances
« au ralenti » de Bruce Nauman, émerge la matérialité inerte du corps quand il atteint
une primauté pénétrante. « L'esprit est un muscle » dit Rainer. La répétition et le rythme
des mouvements gravent une structure au cœur de cette matérialité qui reste hétéronomique
vis-à-vis de ce qui se trouve être le temps du moi. Et l'espace ménagé pour le jeu
des intentions, en passe d'animer le corps, doit donc attendre ce qui sera une seconde
respiration.
Si on s'en rapporte à la conception de soi (encore empreinte de modernité) du Minimalisme,
via cette incarnation – non plus celle de l'âme (du sens) dans le corps, mais celle
du corps au cœur de sa propre matérialité – le mouvement de critique de la représentation,
d'inspiration moderne, atteindrait donc son objectif. L'aliénation de la représentation
et du portrait, supposée refléter l'aliénation de la vie, en inscrivant au niveau de
l'image – la scène, le masque personnel, la peinture, etc. – le rapport à la production, tout
comme en faisant apparaître dans ce qui est montré « le geste clair consistant à montrer
», suivant la formule de Brecht
(8), atteint le palier où c'est la production elle-même qui
en vient à être représentée. Et ce que cela produit – en tout cas à ce qu'il semble – se résume
maintenant à la présence physique de l'acteur en tant qu'acteur. La « silhouette
dramatique » donne l'impression d'avoir été effacée ou de se confondre avec les contours
d'un corps privé d'expression, comme épandue à la surface opaque de ce dernier, un peu
à la manière de la couche de maquillage monochrome sur la peau de Bruce Nauman dans
Art Make-Up (1967). Chez Rainer, les mouvements du corps suivent leur propres lois de
telle sorte – et peu importe la somme d'entraînement et d'attention que cela présuppose
et le niveau d'élégance ainsi atteint – qu'ils ont tendance à se soumettre aux lois de la
gravité plutôt qu'à engendrer une cavité propice à l'effet d'une mise en perspective de
l'âme. Dans les années soixante, ce moment du renoncement à l'image correspondait à
l'engagement par ailleurs de faire échapper la vie à l'emprise de l'ordre représentationnel
symbolique, promesse qui ne fut pas pleinement tenue. Aujourd'hui, le Minimalisme s'est
ossifié en un style formaliste et son objectivité privée d'image – tout au moins dans les
arts visuels statiques – reflète d'abord l'inscription passive du travail au rang formel d'un
produit. Rétrospectivement, le corps, ce véhicule des images qui le voilent, semble être
devenu, à l'instant précis de cette émancipation face à la représentation et au portrait, la
proie d'un positivisme ne contraignant plus aucun des masques d'expression à une intérorité
quelconque (en en faisant du coup un objet, « une sorte d'expédient »). S'en tenir
à l'image monochrome de ce corps et à l'idéal d'une non référencialité est aujourd'hui
dépassé. Une fois l'horizon de la fin de l'image abandonné, la poursuite du travail de critique
de la représentation, entamé par la modernité doit emprunter d'autres chemins. Le
Minimalisme n'est ni une destination, ni une conclusion, mais un moment de crise et le
tournant de la critique moderniste de la représentation. Il demeure pertinent comme topos
structurel, et non comme style formel, et – historiquement – en tant que tentative extrême
ayant permis au corps (signifiant)-acteur (productif) de prendre toute sa dimension
à l'intérieur de la « silhouette dramatique », de venir brouiller les codes de la représentation,
les effets de la profondeur (qu'elle soit spatiale, psychique ou narrative) que la tradition
représentative inscrit au cœur de la matérialité corporelle ou du travail en général,
de lisser son profil au nom de l'objet qu'il est. Par-dessus tout, cependant, cette tentative
démontre que la fusion pas plus qu'elle ne réussit ici, ne peut réussir en général, et que
la distance qui nous tient à l'écart du corps productif, semblant ou objectivement présent,
est infranchissable. En tant qu'apparition singulière, le corps est déjà projeté dans le registre
de l'imaginaire et se voit dédoublé (coupé de lui-même) via la surface d'un miroir.
Un travail radical comme le
Art Make-Up de Nauman touche précisément à cette tension
entre le corps visible qui s'épanouit dans l'enveloppe lumineuse d'un maquillage coloré
et le corps vivant tenant son rôle depuis la sombre arrière-cour de cette image. La réduction
minimaliste de ce gouffre met encore plus en évidence du coup l'importance structurelle
essentielle de l'existence d'un autre gouffre, séparant son acception comme véhicule
(productif) de son image (objective). Aujourd'hui, il n'est plus question de pouvoir
laisser à nu, derrière les images, un corps authentiquement réel, non-signifiant. Il s'agit
plutôt de laisser une ouverture à l'arbitraire, à l'aléatoire, et à la possibilité d'un déplacement
des masques, de laisser la place à un approfondissement de l'écart entre le corps
vivant et sa « silhouette ». C'est dans cet écart impossible à identifier que se situe l'espace
pour le jeu des mouvements d'un sujet qui échapperait à sa propre résolution dans
son image, son identité personnelle.
Quand, par conséquent, Sullivan fait référence au topos minimaliste, c'est en tant que
style paradigmatique, mais historiquement distant, qui au sein de son « anthropologie du
théâtre » dérivée de Canetti, renvoie tout autant à l'insert « mélancolique » endossant le
statut de victime, de proie, d'objet de pouvoir. Aux abords de ce point zéro, le spectre des
lignes de transformations en forte passe de s'évanouir se déploie alors en éventail, et
c'est par ce biais que le sujet va défendre sa place à la table du jeu, recherchant – en
surface – son assimilation avec le « langage » du pouvoir. Dans
Gold Standard pareille
constellation s'est trouvée projetée dans celle constituée d'un corps novice, de l'ordre
symbolique qui lui donne un visage, et de son reflet dans l'espace narratif du film luimême.
A travers la figuration de la surdité, du mutisme et de la cécité , Helen est en mesure
de rendre visible le fait que le sens vient de l'extérieur et va servir à marquer « une
vie », ou en d'autres termes, que le sens et l'identité surgissent à l'endroit de cette rupture
et en tant que ligne séparant vie anonyme et ordre symbolico-imaginaire en général
(9).
Dans les projets suivants de Sullivan, pour lesquels je me contenterai volontairement de
n'évoquer que ses deux grandes installations vidéo,
Five Economies (Big Hunt) (2002) et
Ice Floes of Franz Joseph Land (2003), ce paradigme s'étend à une réflexion plus intense
sur l'historicité théâtrale, et touche maintenant aux codes filmiques.
Big Hunt est une
installation à cinq écrans basée sur un film 16 mm en noir et blanc. Les cinq projections
de 25 mm synchronisées, concentrent et entrelacent des fragments de scènes, des stéréotypes
de jeu et des formes stylistiques empruntés à différentes sources. Dont la séquence
d'alimentation de
Miracle en Alabama (tournant d'un écran à l'autre) et d'autres
extraits et typologies tirés de :
Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (Whatener Happened to Baby
Jane), le film de Robert Aldrich, avec Bette Davis et Joan Crawford, datant de 1962 –
Persona(1966) d'Ingmar Bergman –
Tim de Michael Pate en 1980 (avec Mel Gibson en travailleur
intermittent, bien de sa personne, mais limité intellectuellement) –
Marat/Sade(Peter Brook, 1967). Et pour ce qui est de l'histoire vraie de Birdie Jo Hoaks, une jeune
femme de vingt-cinq ans de l'Utah, qui prétendait être un orphelin de treize ans pour
pouvoir bénéficier de l'aide sociale, Sullivan va développer son propre système stylistique,
sorte de « réalisme à la Larry Clark » dilapidé
(10). Autre source, les « distractions des
veillées mortuaires » irlandaises (et leur caractère à demi-cérémonial) où la traduction du
deuil emprunte les formes d'un jeu impliquant cruauté bien réelle et gaieté malicieuse.
De ces références (
Persona,
Marat/Sade et
Tim étant typologiquement proches), Sullivan
a tiré cinq économies, entre lesquelles son travail se meut en se servant d'un groupe assez
varié d'acteurs. Les différents fragments de scènes sont montrés sous l'angle de la réfraction
des diverses formes stylistiques, plus ou moins radicalement distordues. La Baby
Jane du psychodrame aldrichien est refondue dans une perspective stylistique de divertissement
en un personnage masculin récalcitrant portant dentelles ; Annie et Helen, au
cours de cette séance d'apprentissage du « bien manger », sont transposées au cœur d'un
film policier déjanté à la Tarantino ou bien encore d'un film « à clé intime » sur le mode
du tragique bergmanien. Les permutations entre les acteurs, les rôles et les économies
stylistiques engendrent un kaléidoscope de doubles et d'images renvoyées par un miroir
brisé, dont les contours temporels et spatiaux échappent parfois à la mise au point. Des
figures issues de différents contextes narratifs apparaissent, sans lien, à l'intérieur d'une
même image scénique : Charlotte Corday, « hystérique » en chemise de nuit, une paire
de ciseaux à la main, se balade – tout comme Tim portant un balai et un seau – sur presque
tous les écrans (tous muets).
Dans
Big Hunt, Sullivan se sert aussi de moyens filmiques spécifiques – le travail de la
caméra et la lumière – d'une manière historiquement réfléchie. Ce sont des moment de
l'économie des styles, de la visibilité filmique spécifiquement colorée, là où les images
scéniques sont constituées. « Je veux établir le style comme une économie des effets qui
constituent ordre, hiérarchie, tradition. En un sens, voilà comment sont présentes les notions
de pouvoir dans la pièce. Mais la question relative au pouvoir n'est pas celle des
réactions ou de la résistance. C'est une question d'assimilation. La tâche de l'acteur c'est
de se soumettre aux affectations qui ont cours à l'intérieur d'une économie stylistique
donnée. Reste que c'est cette économie elle-même qui doit être à son tour soumise au
jugement. Elle contraint et régule sur la base des effets qu'elle a besoin de produire.
L'acteur n'est qu'un simple participant à la chasse, tenté par l'ascension, la transformation…
(11) » L'économie stylistique n'est pas elle-même un masque, mais un champ de
force qui produit des masques
(12). C'est un médium ou un milieu possédant sa propre
consistance, et qui ne véhicule qu'un certain type d'images, de figures et de visages. En
général, on attend d'un film (ou du théâtre) qu'il témoigne de la résonance entre typologie
psychologique des figures et milieu de leur transformation en image. Cette continuité entre
image et médium consolide l'unité de l'illusion et conditionne l'identification « de et
avec » la personne représentée ou portraiturée. Dans
Big Hunt, Sullivan travaille en se
servant des variations d'intensité rencontrées à l'intérieur de cette opérarion de transformation
réussie, où le corps donne l'impression d'avoir été pénétré par le sens du rôle, la
conduite de ses mouvements semblant sous l'emprise du récit. Pourtant, ce ne sont là
que des moments isolés dans la trame déployée du travail, parce qu'à travers la réfraction
réciproque qui les différencie, les économies stylistiques se révèlent vite chacune datées
et typées, et si les moments de fascination exercée par le « grand jeu » ne se trouvent pas
ainsi entièrement annulés, reste que toute illusion d'une nécessité organique se trouve
bel et bien détruite. Le visage se construit toujours à l'intérieur du cadre d'un ordre symbolique
et au moyen de l'identification imaginaire. Il devient possible de faire l'expérience
de l'identité constituée en tant qu'effet contingent. L'économie du théâtre fait partie du
système des forces qui génèrent des identités, mais qui aussi les voilent, les déplacent et
les distordent.
A partir de ce cadre, la capacité d'analyse du travail de Sullivan quant à la critique de la
représentation peut être comprise comme en opposition au courant auto-criminologique
à l'œuvre dans l'art actuel du questionnement de soi, et qui s'empêtre dans des questionnements
concernant l'identité biographique, ethnique et sexuelle, si bien que son travail
nourrit une réflexion portant sur l'inauthenticité structurelle y compris des masques les
plus authentiques. Les affirmations résolues du genre « c'est comme je suis » et « c'est
moi » se placent dans la continuité de la logique du ressenti tel qu'analysé par
Deleuze
à la suite de Nietzsche
(13). C'est un mouvement de l'(auto)-identification imaginaire, qui
reconnaît l'arrière évidé du masque comme une image authentique, en vue d'une reconnaissance
et d'une identification via cette image. On peut déjà voir que l'approche à laquelle
recourt Sullivan dans son travail renverse l'horizon de la problématique de l'identité
qu'installe le questionnement narcissique et dépressif du type « qui suis-je ? ». Le
sujet est en plein dans la course entre les masques (créateurs d'identités). Le changement
de masque, voilà son genre de mouvement en propre. La réflexion sur l'historicité et la
complexité des économies de la représentation n'est par conséquent déterminée, ni par
l'affliction de la perte, ni par un abandon cynique d'authenticité. Le théatre de la différence
fait du mouvement de dés-identification la trace authentique du sujet. Et on peut
comprendre que ce mouvement, tout comme dans certaines des sources choisies, touche
et doive toucher, à la désintégration pathologique de la personne.
Dans la structure formelle de
Big Hunt, la trace de ce mouvement trouve à se refléter
autrement. L'espace narratif ne procure aucune unité au kaléidoscope des fragments
d'image. Il n'existe plus aucune fable – le « cœur de l'événement théâtral » selon Brecht
(14)
– en mesure de rassembler à la fois les figures et leurs contradictions internes ou externes.
On a affaire à des fragments d'images avec leurs propres densité et profondeur narratives
et psychologiques, et pas à une image continue. Les fragments sont réunis à la manière
d'une mosaïque au sein de la grille spatiale (celle que constitue les écrans) et temporelle
(faite de très longs découpages – chaque prise durant entre trois et sept minutes). Les
points de rupture se situent également en dehors des limites de cette grille, à la fois via
le double codage des figures elles-mêmes et les prises considérées une à une (qui souvent
comportent en vision simultanée divers fragments, narrativement incompatibles). Les fêlures
occasionnées entre les images, précisément parce que le niveau de leur présence
reste faible (il n'existe pas de code démonstratif pour elles), retrouvent l'espace/temps de
la production de la pièce/film. Et c'est uniquement dans cette strate de la production que
l'on a l'impression de voir la cassure multiple et le travail hétérogène gagner leur unité.
C'est d'abord l'unité spatiale inhérente à la continuité du cadre, qu'une vision un peu
prolongée permet de reconstituer : celui de la salle à trois extensions d'un club de femmes
des années vingt situé à Pasadena et qui, avec son mobilier et son éclairage changeant,
sert d'habitat (et d'arrière-plan) unique à des images scéniques par ailleurs hétérogènes,
rassemblant à l'intérieur d'une même trame les cinq écrans et les scènes qu'on
y voit et qui parfois vous enveloppent complètement. Ironiquement, on ne doit l'unité de
temps, d'espace et d'action qu'à la production, là où l'action en tant qu'action est dissoute,
quand la mise en scène n'apparaît pas en tant que telle au niveau de chaque écran
individuel (à noter que chaque fois le cadre fait l'objet d'une adaptation aux conditions
spatiale et temporelle, et en fonction de l'athmosphère de la scène), mais entre les écrans
et dans les fêlures des images scéniques elles-mêmes lorsqu'elles contiennent différents
fragments inconciliables. L'omission (l'absence et l'invisibilité d'une caméra oublieuse
d'elle-même et ne cherchant donc pas à endosser la fonction du spectateur – la sobriété
du recours au montage) construit d'abord les images via leur « incomplétude sollicitatrice
», recquérant donc un regard identificateur et la construction d'une profondeur sémantique
narrative. A ce niveau de complète démystification (c'est un film et ce sont des
prises filmiques s'intéressant à la manière dont différentes personnes se meuvent dans
ce qui est à la fois habitat et acte d'une pièce), le travail conquiert en propre gaieté et
beauté, acquiert sur un mode conciliant une certaine ironie de ton.
Alors que dans
Big Hunt les images scéniques fragmentées se trouvent ainsi réunies à
l'intérieur d'une paranthèse, dans l'installation vidéo de Sullivan la plus récente (de
grande dimension et utilisant cinq projections), intitulée
Ice Floes of Franz Joseph Land,
le principal lieu de tournage, le bâtiment de l'Association Polonaise des Vétérans de l'Armée
Américaine à Chicago, est déjà en lui-même trop grand et compliqué pour qu'on
puisse entièrement l'embrasser au plan spatial. A travers la surcharge de sa dimension de
reliquaire, comme un décor catholique anti-communiste ayant cependant paradoxalement
conservé son style réaliste socialiste – sorte de pastiche dissonant du propriétaire –
ce site prend l'allure d'un arrière-plan à l'atmosphère étouffante que vient souligner le
style ténébreux, un tantinet démoniaque du film. C'est un soulagement quand, vers la fin
de cette boucle d'une durée avoisinant trente minutes, certains des acteurs cassent le
dispositif de son remplissage par des gens rampant, mourant, mangeant et défilant, en
poursuivant, dans un champ de maïs, un bois, un parking vide, l'exécution de ce qui n'est
plus rien d'autre maintenant qu'une pantomine absurdement déconnectée de tout et sans
aucune signification, pris au piège qu'ils sont de la durée de leurs rôles, victimes d'un
aveuglement mutuel.
Ice Floes of Franz Joseph Land revient sur l'attaque par des terroristes tchéchènes d'un
théâtre musical moscovite au cours de l'automne 2002, lorsque près de deux cents personnes
périrent lors de la prise d'assaut du bâtiment par les forces de sécurité qui employèrent
pour ce faire un gaz empoisonné. La comédie musicale,
North-East, « un spectacle
de Broadway à l'âme russe
(15) », est quant à elle basée sur le roman
Deux capitaines:
une histoire d'amour et d'aventure patriotique larmoyante qui met en scène la nouvelle
propagande de l'« homme soviétique », faisant l'éloge de sa force de caractère et de son
penchant éclairé de conquérant, sur fond de seconde guerre mondiale et via l'histoire de
deux « pères » perdus et que domine l'ombre d'un troisième, Staline en personne
(16). L'intrigue
de ce tout premier « spectacle musical donné quotidiennement à Moscou », produit
selon les critères américains de la culture du spectacle, pouvait donc apparaître aux
yeux des terroristes tchéchènes – ce que remarque Sullivan – comme une cible adaptée
à leur propre spectacle de terreur
(17).
Introduire la multiplication dans la singularité du théâtre est l'un des traits structurels de
base de la comédie musicale. La surface momentanément unique de la présence théâtrale
se voit polie en facettes qui, par le jeu des réfractions, transforment l'unicité en un
spectre de variations et de répétitions. Dans la comédie musicale classique, bien sûr, ce
sont la perfection d'une multiplication sérielle, et la diversification des figures du mouvement
en réponse au souci d'un ordonnancement à caractère ornemental, qui vont se révèler
décisifs. Le parallèle entre danse et automate s'y trouve transposé dans des dimensions
industrielles. Dans
Ice Floes, Sullivan a relevé ce moment déterminant. Elle a extrait
du roman de base toute une série de clichés relatifs au costume et d'archétypes scéniques
qu'elle a ensuite énumérés en utilisant tous les acteurs, sans l'ombre d'une quelconque
fixation des rôles. Souvent très courts et très simples, nettement délimités, répétés suivant
des rythmes et des vitesses d'exécution variés, distribués à des groupes d'acteurs
changeants, les mouvements constituent ici quelque chose qui s'apparente à la partition
d'une chorégraphie complexe et dissonnante. La représentation théâtrale est mise à bas
pour devenir un arrangement quasi mécanique destiné à produire un certain type de
mouvements dont la signification n'échappe pas à toute ambiguïté et qui restent même
souvent impossibles à identifier, y compris pour un lecteur (digne de pitié) du roman.
Ceux qui exécutent ces gestes peuvent les multiplier ou les faire alterner. Le motif d'un
mouvement, une phrase prononcée (le son roule entre les cinq écrans, grandit, pour disparaître
une fois encore) volent d'un corps à l'autre, comme au sein d'une équipe de relais.
Parfois ce vol demeure spatialement synchronique. Quelquefois il se chevauche luimême
à l'intérieur d'un enchaînement généralement resserré. La forme codifiée marque
de son empreinte le mouvement de corps qui remplissent souvent sans grande précision
et avec d'évidentes différences le vide de leurs propres formes. La sérialisation même
simplement imprécise, permet aux corps de révéler leurs idiosyncrasies, leur inertie, leur
tendance à la déviation. La vrille de la machine à représenter ne les fixe pas tout à fait.
D'autres modalités de répétition issues du spectre, allant de la névrose au rituel, de la
convulsion à l'absence débile de sens, viennent alors affronter la discipline mécanique.
Dans l'arrangement de
Ice Floes, la déconstruction théâtrale a franchi une étape supplémentaire
décisive. Du fait des structures répétitives, la cohérence unissant acteur et rôle
s'est trouvée systématiquement dissoute. Les rôles eux-mêmes ont été brisés en morceaux
et les fragments réorganisés en partition, empoignant le corps collectif de l'ensemble
comme un matériau brut, le découpant, le fractionnant. Dans la manière de jouer de
cet instrument, chose implicite dans la conception qu'a Sullivan du théâtre comme totalité,
une certaine dureté, voire cruauté devient perceptible. Dans ses œuvres, les variations
autour de la « violence racontée » sont elles-mêmes transpercées par la violence du
rôle, la violence de l'estampillage de sens. Cette violence est irréductible. Elle constitue
l'élément de la production théâtrale elle-même. Dans
Ice Floes, là où la partition contraint
les acteurs à des figures, et ce à partir de mouvements d'une grande pauvreté d'esprit,
souvent même foncièrement régressifs (un motif refléchissant « stalinien » évident : renvoyant
aux mises en scène de masses laborieuses auxquelles l'individu participe sans être
en mesure d'en saisir ni la signification, ni l'orientation, uniquement destinées au regard
figé de Big Brother), cette violence ne fait qu'être exprimée différement, plus clairement.
L'irruption de la menace terroriste dans les décors de la comédie musicale – l'événement
qui était au point de départ du travail – n'a par conséquent plus besoin d'être explicitement
traduite en motifs. Cette menace se reflète dans les visages congelés des acteurs.
1 Dans deux œuvres plus anciennes, la pièce
The Chirologic Tragredies et le film
The Chirologic Remedy, Sullivan fait référence
au manuel de John Bulwer publié en 1644 (
The Chirologia of The Natural Language of the Hand, and Chironomia or the Art
of Manual Rhetoric) comme à une sorte d'épicentre. Le choix du langage des sourds-muets (l'un des sens du terme chirology,
d'un système strictement codifié et en aucun cas « naturel » de signes gestuels discrets comme modèle de représentation
pour le jeu scénique est caractéristique de l'orientation de sa réflexion concernant la théorie théâtrale (Cf. « The Chirologic
Tragedies » in Catherine Sullivan : «
A spectacle of Ruin and Doubt », Fama&Fortune Bulletin 1999/26, Vienne, 1999, n.
p.)
2 Catherine Sullivan : « Through the Scattered Glances. Second Order Drama »,
Spring Journal n° 2, Los Angeles, 2000, p.
38-41 (spécialement p. 39).
3 Sullivan se réfère à Shaw et bien sûr à Brecht, mais le principal exemple pour son analyse est Opening Night de John Casavetes
en 1978, où l'entremêlement du « drame secondaire » et de l'intrigue du film – Gena Rowlands doit « jouer » en même
temps une actrice âgée et le conflit avec son rôle – conduit à une oscillation entre les niveaux de réflexion et de narration
(ibid. p. 40)
4 Quand épuisé le professeur quitte la cuisine après une longue altercation, dont le film de Penn ne montre que le début, elle
dit à la mère émue d'Helen qu'elle a mangé avec une cuillère et qu'elle « a plié sa serviette ». La serviette pliée est le trophée,
objet d'un long et dure combat. « La pièce est une ruine, mais la serviette est pliée. »
5 Cf. Catherine Sullivan : « The Manic Annie (Canetti/Gibson infusion) » in
Catalogue Catherine Sullivan. Five Economies (big
hunt/little hunt), Chicago/Los Angeles, 2002/2003, p. 9-23. A noter que dans « The Chirologic Tragedies » (1999) Sullivan
cite également les motifs de Canetti à propos de la main comme objet et origine commune du « langage » : « les doigts croisés
suggèrent un panier ».
6 Cf. Canetti.
7 Texte du programme de la performance
The Mind is a Muscle, avril 1968 cité in
Yvonne Rainer : A woman who… Essays,
Interviews,Scripts, Baltimore/Londres, 1999, p. 41.
8 Bertold Brecht : « Neue Technik der Schauspielkunst » in
Schiften zum Theater, Francfort, 1957 (éd. 1973, p. 106).
9 Concernant le concept de vie anonyme, on se reportera au texte de
Deleuze : « L'immanence : une vie… »,
Philosophie n°
47, Paris, 1995.
10 Sullivan signale les photos d'adolescents de Larry Clark comme une source d'inspiration du « style Birduie Jo Hoaks ». Cf.
Russel Ferguson : « Sort of Excessive : an interwiew with Catherine Sullivan » in
Catalogue Catherine Sullivan. Five Economies
(big hunt/little hunt), op. cit. p. 29.
11 Ibid.
12 Ici la convergence « Nietzschéenne » entre les concepts de pouvoir chez Canetti et Foucault devient apparente. Le « pouvoir
» est plus productif que restrictif. Il induit les « identités » sous lesquelles la proie se présente et s'échappe. Derrière
ces masques, l'être humain – l'anthropos de cette « anthropologie » – reste l'« animal qui pour finir n'a pas été
déterminé ».
13
Gilles Deleuze :
Nietzsche et la philosophie, Paris, 1962 (éd. allemande, Hambourg 2002, p. 122 et suivantes).
14 Bertold Brecht : « Das kleine Organon » in
Schiften zum Theater, Francfort, 1957 (éd. 1973, p. 165).
15 C'est sa propre description que Sullivan cite (texte d'accompagnement pour l'exposition
Ice Floes, Kunsthalle, Zurich).
16 V. Kawerin :
Zwei Kapitäne. Roman in zwei Bänden, éd. allemande, Berlin, 1947