Hôtel
Vincent Pécoil
(extrait, p. 67-69)
Pierre Vadi décrit ses expositions comme des sortes d'« hôtels », dont les invitées seraient
les œuvres. Elles y séjournent pendant une période, puis repartent, en attente de l'invitation
suivante. Certaines viennent en famille et d'autres seules. La population d'un hôtel n'est
pas une communauté, plutôt une réunion disparate de personnes qui n'ont pas grand chose
à voir entre elles – un caddie, des noix de coco, une corde, des maquettes d'architecture,
des cartes du ciel, une hostie, un tas de sucre… En tant que voyageuses, ces pièces ne sont
pas seulement étrangères aux lieux dans lesquels elles s'installent, elles sont encore étrangères
les unes aux autres. Mais cette étrangeté est ce qui finit par les lier, ou du moins
par nous faire soupçonner qu'un fil d'Ariane invisible les lie à travers les différents espaces
qu'elles traversent. «
Mon espace rassemble et disperse ces objets dont le rapport des uns
aux autres est d'autant plus persistant qu'ils ne cessent apparemment de ne réfléchir que
sur eux-mêmes », écrivait récemment Pierre Vadi à l'occasion d'une présentation publique
de son travail dans son atelier de Genève.
Si les œuvres sont « de passage », sans lieu attitré, elles évoluent aussi dans un temps
incertain. Certaines formes sont manifestement nos contemporaines, reproduisant des
objets familiers, tandis que d'autres paraissent être des vestiges anticipés ou des formes
futuristes surgies du passé. Ajouté au fait que certains de ces objets paraissent incomplets,
ou que leur signification et leur fonction semblent appartenir à une culture qui n'est
pas la nôtre, l'exposition de son travail revêt parfois l'aspect d'un chantier de fouilles
archéologiques, où les objets disposés au sol paraissent exhumés. Cette impression était particulièrement vraie pour l'exposition
Alcaline Earth ( Dijon, 2009) avec la présentation
des
Fils, qui sont comme des petits animaux momifiés, les différents éléments de
Mission
moderne, les peluches de
Wo Es war, soll Ich werden, les études d'après la San Francisco de
Asis Mission Church et l'Einsteinturm de Mendelsohn, ainsi que les moulages de livres
en béton ; toutes œuvres qui semblaient, dans ce contexte, pareilles à des restes fossilisés.
La plupart des pièces de Pierre Vadi sont d'un format modeste et sont disposées à même
le sol. Les expositions se déploient horizontalement, donnant au visiteur le sentiment
d'un parcours aérien. Cette disposition n'est pas exclusive : des cloisons, des barres,
des chaînes ou des sculptures en suspension ponctuent le déploiement des pièces au sol,
ou l'encadrent, dans le cas des cloisons peintes, comme le font les limites de la page
vis-à-vis du texte. Mais le parcours à l'intérieur d'une exposition de Pierre Vadi a quelque
chose à voir avec ces rêves où l'on survole une étendue pendant un laps de temps, ou avec
les rêveries enfantines liées au jeu, dans lesquelles le monde, est ramené à une miniature
dont on peut librement disposer.
(...)