Dans le royaume du cool carcéral
Jill Gasparina
(extrait, p. 6)
Aussi peu intéressantes que les timbres-postes
oblitérés et forcément aussi peu variés qu'eux,
les productions littéraires ou plastiques ne sont
plus que les signes d'un commerce abstrait.
Michèle Bernstein
Parce qu'il est particulièrement mutique et abstrait, le
travail vidéo et sculptural de Magali Reus se prête au premier
coup d'œil à des associations aussi ouvertes que subjectives.
Un passionné du cinéma verra peut-être dans le
film Background un hommage à
Beau Travail de Claire
Denis. Un amateur de sport y lira une ode à l'entraînement
et au perfectionnement obsessionnel du corps. Les
regardeurs attentifs apprécieront la finesse des moulages,
la maîtrise de la production. On pourra aussi voir ses
sculptures comme les échos des formes artistiques des
années 1960.
Du post-minimalisme à tendance californienne
? Des marchandises ? Des personnages ?
Les projections faites sur le travail de Magali Reus
en disent parfois plus long sur les goûts et les obsessions
de ses regardeurs que sur l'œuvre elle-même. De là peut
naître un sentiment compréhensible d'agacement, l'impression
d'être devant un rébus, ou un sudoku un peu
trop récalcitrant.
La production très soignée, maîtrisée,
ne laisse à première vue la place à aucun accident, ni à
aucun trait d'expression personnelle. Les titres sont donnés
dans un anglais caricaturalement générique :
Lift,
Background,
Closure,
Finish,
Pattern Recognition,
Accessory,
Renewed Purpose.
Son travail est constitué de formes abstraites,
minimales et génériques, ces trois termes n'étant
pas pris ici comme synonymes, mais plutôt comme trois
stratégies différentes de prise de distance avec le logos.
Aucun discours extérieur ne vient suppléer à la généricité
des formes. Et Miss Reus est fort avare de commentaires
au sujet de son travail. Elle évite scrupuleusement
d'en orienter la lecture, se limitant à dire ce qu'il n'est pas.
Au contraire de nombreux artistes dont les formes sculpturales
fonctionnent et signifient grâce à leur inclusion
dans un récit plus large, sans cesse réécrit, Magali Reus
ne donne que très peu d'indications. Ces œuvres sont
« flexibles », concède-t-elle de guerre lasse.
Elle utilise néanmoins différents moyens pour
charger ses pièces d'un contenu symbolique et pour en
décupler la potentielle puissance associative.
(...)