Alan Suicide Vega –
Infinite Mercy ? Let U$ Pray !
Mathieu Copeland
(p. 30-31)
Figure de la scène alternative artistique new-yorkaise dès
la fin des années 60, pionnier du rock électronique minimal
et cofondateur du groupe Suicide, Alan Vega s'est affirmé
par son art comme l'un des artistes et musiciens les plus
influents, faisant du Punk le manifeste d'une raison de vivre.
En 1969, Alan Suicide (né Alan Bermowitz en 1938 à New
York, où il vit) est l'un des cofondateurs de « MUSEUM,
A Project of Living Artists » (MUSÉE, Un Projet d'Artistes
Vivants), un des premiers lieux alternatifs « artist-run
spaces » new-yorkais. Ouvert 24h/24, et dédié à toutes
les formes d'art, aussi bien visuelles que musicales et
cinématographiques, ce lieu devient vite un tremplin pour
un grand nombre d'artistes et de musiciens. Dans cet
univers saturé, celui qui allait devenir à partir de 1977 Alan
Vega trouve un environnement idéal pour vivre son œuvre
musicale et artistique.
À la fin des années 50, Alan Bermowitz étudie notamment
avec Ad Reinhardt et Kurt Seligmann au Brooklyn College,
et se concentre dans un premier temps sur la peinture, puis
le dessin. À la fin des années 60, son intérêt se porte sur
la lumière : il crée ses premières « light sculptures », des
sculptures lumineuses faites d'assemblage d'objets divers
composées d'ampoules, de câbles, de télévisions et de
néons de toutes formes et couleurs.
Anti-esthétique, antiforme, le pendant d'un Arte Povera
« un-made in THE USA », son œuvre embrasse la réalité
contemporaine dans laquelle il vit. Faisant fi de toute
préciosité, il recycle aussi bien ses propres œuvres que
les déchets de la réalité qui l'entoure. De 1969 à 1973, il
recycle inlassablement ses propres sculptures lumineuses,
les remodelant au gré de ses expositions solo successives;
et ce encore en 2002 lors de son exposition solo chez
Deitch Project à New York ou en 2009 lors de son exposition
rétrospective au Musée d'art contemporain de Lyon, où il
retravaille ses œuvres passées pour en faire de nouvelles
pièces. En complément logique, en 1975 lors de sa dernière
exposition chez OK Harris (la galerie qui le révèle dès
1970), Alan Vega récupère dans la rue les matériaux qui
constitueront les éléments de son œuvre et les présente
dans la galerie. À l'issue de l'exposition, il les rend à leur
réalité première, les retournant à la rue.
Le présent ouvrage se compose d'un long entretien
réalisé avec Alan Vega et des discussions et mémoires avec l'écrivaine et commissaire Edit DeAk, avec qui Alan
écrit dès le début des années 70 une longue partie de son
aventure artistique, notamment au travers d'Art-Rite – un
fac-similé du numéro 13 d'Art-Rite ouvre d'ailleurs ce livre,
soit 24 pages entièrement réalisées par Alan Suicide en
1977 ; avec son co-précurseur avant-gardiste Marty Rev,
qui, à travers leur œuvre commune Suicide, crée une
importante page de la musique rock et punk ; avec l'artiste
et cinéaste Paul ‘Cool P' Liebegott qui accompagne Alan
dès la première heure de MUSEUM et ce jusqu'au tournant
du premier album de 1977 ; avec Ric Ocasek, influent
musicien, champion et collectionneur d'Alan, et dès 1979
fréquent producteur des disques de Suicide et Alan Vega;
avec le musicien et artiste
Marc Hurtado qui en solo ou
avec son groupe Étant Donnés contribue à la brillance
de l'étoile Vega ; avec le cinéaste Philippe Grandrieux à
travers une image réalisée en écho à « Sombre », comme
une plongée dans le noir du champ cinématographique ;
et finalement avec le musicien, écrivain et « spoken-word
artist » Henry Rollins, qui travaille par les mots chacune des
pages de l'œuvre d'Alan Vega « Let U$ Pray », le cahier de
16 pages spécialement réalisé pour conclure la présente
publication, révélant ainsi une lecture frontale et sans
compromis de notre réalité contemporaine.
Cette œuvre fondamentale nous rappelle la nécessité
d'accepter un art qui ne serait pas celui de la production
fétichiste d'objets mais au contraire celui qui consisterait
à embrasser l'éphémère de toute chose, de refuser toute
préciosité et idolâtrie. Nous oscillons entre la résignation
d'attendre une grâce infinie (An Infinite Mercy) et le possible
confort qui se dégage de ces mots funestes à l'ironie
certaine trouvée par Alan Vega dans quelques journaux :
Let U$ Pray, soit Laissez-Nou$ Prier. Laissez-nous prier
l'avènement du grand capital, laissez-nous prier l'avènement
des États-Unis du Grand Capital, laissez-nous prier pour une
part de ce Grand Capital, laissez-nous prier pour la ruine
du Grand Capital, ou encore, simplement, laissez-nous
prier… Alan Suicide Vega œuvre depuis la fin des années
60 à un engagement radical et sans compromis, faisant de
son art l'instrument du suicide de la société pour mieux
en permettre sa rédemption, ce à quoi nous serions tenté
d'ajouter : $o be it (qu'il en $oit ainsi) !