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Présentation
par François Quintin
On le sait, le paysage est une invention. Le peintre de chevalet s'installe dans les campagnes et témoigne en acte de sa présence éphémère devant l'horizon immuable. À la fois opératrice et figure de ses photographies, Janaina Tschäpe est « l'antisujet » de ses paysages : son corps abandonné fait basculer le réel dans une infinité de fictions à construire, pour lesquelles cette maîtrise inventive de la mort devient le prétexte récurent. Elle appose sa présence immuable dans un paysage éphémère. Elle exprime ainsi un désir éminemment moderne de multiplicité, d'ubiquités, désir de voyages instantanés, de destinations multiples et simultanées, la vitesse, le mythe de l'information électronique, l'histoire en temps réel, et autres fantasmes contemporains.
Mais si juste soient-elles, ses œuvres n'entendent rien présager des sombres perspectives du monde. Dans le flot vertigineux d'images, le corps abandonné est l'élément attendu. Le déclic de l'appareil est le moment culminant d'un plaisir du temps présent où le corps s'oublie dans la passion d'une parcelle de vie intense, une jouissance de lumière, d'espace, de chaleur, de moiteur, de silence habité, de vertige, de lourdeur sur la terre nue, de tout ce que la photographie ne peut enregistrer. Chacune de ces « 100 petites morts » est un rite de possession qui communie tant avec le romantisme allemand d'un Goethe ou d'un Caspar David Friedrich qu'avec les transes des cultes afro-brésiliens comme le candomblé. Dans un texte qui accompagnait l'exposition des « 100 petites morts » au Frac Champagne Ardenne, en février 2002, Céline Picaud écrivait : « la démultiplication de Janaina Tschäpe est le renouvellement constant de cette intensité vivante ». À présent, ce livre réunit toutes les images que constitue la série, mais on se plait volontiers à imaginer qu'il y a dans ces petites suspensions de vie un désir d'être au monde qui n'a pas de fin véritable.