excerpt
pp. 11-15
Aller à Paris en 1958, c'était s'ouvrir
d'un seul coup au monde entier.
Je découvrais tout un univers que je
ne connaissais qu'à travers des revues.
Mes premiers mois furent marqués par
deux chocs esthétiques. Le premier fut
provoqué par Rauschenberg que j'ai
découvert à la galerie Daniel Cordier.
Il avait mis une tête de bélier sur un
pneu, oeuvre aujourd'hui célèbre. À la
même époque, Jaspers Johns exposait ses
tableaux de chiffres à la galerie Arcade.
Ces oeuvres étaient comme un souffle
nouveau, de l'air frais entrant par la fenêtre d'une pièce qu'on aurait longtemps
maintenue fermée. Elles dégageaient une
énergie extrêmement stimulante.
Lorsque je suis arrivé de ma province
à l'école des Beaux-Arts d'Athènes, j'ai
senti qu'il fallait faire ses preuves et donc
suivi avec assiduité l'enseignement de
mes professeurs pour devenir le meilleur.
Mais j'étais soudain projeté dans un
monde libre où vouloir se comparer aux
autres n'avait plus aucun sens. Il s'agissait
désormais pour moi de développer
un univers qui me soit propre.
Si, à l'époque, je ne savais guère ce
que je voulais vraiment faire, ces chocs
n'en confirmèrent pas moins une chose
importante : je n'avais plus envie de
peindre. C'est en cherchant, sans savoir
vers où j'allais, qu'un jour le papier m'a
fait signe. Faute de moyens pour m'acheter
du matériel, j'ai commencé à fouiller les
poubelles de Paris pour récupérer de
vieux magazines : Elle, Paris Match…
Voulant en extraire des lamelles pour
tenter des assemblages de couleurs, je
m'accommodais comme je pouvais de ces
feuilles trop petites, les coupant de biais
pour gagner quelques centimètres. Mais
cela ne fonctionnait pas très bien, je me
creusais trop la tête et mes mains n'étaient
guère satisfaites de la matière à manipuler.
En plus de ne pas être assez longues, les
bandes n'étaient pas assez colorées.
Puis un jour, en prenant le métro, je
me suis aperçu que la solution se trouvait
depuis toujours devant mes yeux, dans
toutes ces affiches collées. On pouvait
non seulement en extraire des bandes
d'un mètre soixante de longueur, mais
aussi des couleurs magnifiques.
C'est drôle, on croit voir les choses
autour de soi alors qu'on est aveugle.