JOËL HUBAUT, ÉNERGUMÈNE TRANSHISTORIQUE OU LA FURIOSA CHAOTICA (p. 11-17)
Hubaut, picard par naissance, normand par hasard, piqué on the road, picador par nécessité,
instructeur polymédia par miracle aux Zarbos de Caen, vit à Réville, son Q.G. en bord de mer.
Issu d'en bas, de la danse des canards et des balais, des bals popu du week-end, de l'école des
rues et des bandes dessinées, c'est un Hugo beurré, « une force qui va », un loustic sorti du
fond de la cale, un tourbillon, une tornade, un phénomène inexplicable, irrécupérable, inextricable,
inexpugnable, inoxydable, irrémédiable, irréversible, intempestif, inaudible, inextinguible,
indocile, insoumis, inavouable, intraitable, improbable ; Hubaut, c'est une force et une
farce centripète et centrifuge qui s'apparente aux vieux carnavals, au burlesque et aux comédies
drolatiques qui parcourent l'Europe depuis le haut Moyen Âge. Hubaut revivifie la bouffonnerie
métaphysique, celle de Jarry (la pataphysique) et celle de Rabelais (l'os à moelle)
enfourché sur le balai cosmique du Momo (l'Artaud du
Pour en finir avec le jugement de Dieu,
l'Artaud du brouillage systématique pour en finir avec les idées, les idéaux, les idéologies,
pour en finir avec les explications et les classifications) ; Hubaut surgit ou apparaît (une
apparition qui est une révélation) au début des années 70, baigné par la tornade du Mai 68
et très mouillé par la Beat Generation (Ginsberg,
Gysin,
Burroughs, Pélieu, Kerouac…), le
rock alternatif et toutes les révoltes de la Terre et toutes les musiques de la Terre et toutes les
langues de la Terre et toutes les cultures populaires de la Terre et tous les oiseaux de la Terre
et toutes les plantes de la Terre et tous les vents de la Terre (Gandhi, Lanza del Vasto, Martin
Luther King, Les Amis de la Terre…).
K-Cas rarissime en ce pays si policé (la police des bonnes moeurs inculquées depuis le
biberon et l'école primaire), si académique (une tyrannie du bien français et du bon goût depuis
la dictature de Louis XIV), si cultivé (il n'y a de good bec que de Paris, capitale mondiale de
la culture universelle et de sa langue de bois si diplomatique et si courtisane), si intellectuel
(une exception dite française), en ce pays si impérial, si colonial, si pacificateur et si tyrannique
(écoutez donc IAM, Zebda, NTM…), en ce pays si démocratique et si hiérarchique, en ce
pays si catholique et si révolutionnaire, si nationaliste et patriotique (Vive la France et le
français, à bas le breton, le flamand, l'alsacien, le corse, l'occitan, le basque, le kanak, et les créoles des Caraïbes et de Guyane et de la Réunion, à bas les langues aborigènes des Dom-
Tom, à bas l'arabe et le berbère de l'Algérie et les langues africaines des francophonies,
vive l'empire de la civilisation française et la colonisation positive.) Cas symptomatique
et révélateur de l'existence non médiatique d'une autre France, de la France des diversités et
des pluralités, des foisonnements en tous sens et n'importe où, d'une autre France des pays
et des régions, d'une autre France des innovations en tout genre, non concentrées, non
centralisées, non médiatisées. Hubaut, sur la scène actuelle de l'art contemporain et de la
culture est une sorte d'OVNI, un martien, qui depuis bientôt plus de trente ans secoue le
grand arbre jusqu'à quasiment la transe pour qu'enfin des milliers de fruits en jaillissent
dans toutes les directions, n'importe où, n'importe comment, avec n'importe qui, n'importe
quand et des fruits de n'importe quoi. Dans un monde marchand condamné aux
marchandages, au marché international mondial et aux reconnaissances médiatiques, Hubaut
est un troublion, un interrupteur de profits, un perturbateur de circuits, un empêcheur
de tourner en rond dans la ronde effrénée des gains grandioses. Hubaut est aujourd'hui
l'emblème d'un soulèvement hercynien car il est doué d'une puissance tellurique volcanique
qui secoue et fait trembler les armatures, les règlements, les fondations,
les définitions et les classifications. Hubaut recycle tout ce qui
ne se courbe pas devant les diverses formes du pouvoir (local, urbain,
rural, régional, national, européen, mondial, religieux, politique,
social, culturel…). Hubaut est un cirque, une entreprise, une machine
invisible, une épidémie puisqu'il cycle et recycle, solitaire et solidaire,
Tarzan, Robin des Bois, Zorro, Popeye et Pinocchio, c'est
« une farce qui va » qui possède la gourmandise totale de Balzac
comme la vision ésotérique et politique d'Hugo, après avoir été
mangé par Rimbaud, Mallarmé et Lautréamont. C'est un poète
épique d'un genre nouveau traversé par Jean-Pierre Brisset (et ses prophéties anagrammatiques)
et Raymond Roussel (relu par
Duchamp) et par Cendrars et Gustave le Rouge et par
Fantômas et Alphonse Allais et Léon Bloy et Satie. Hubaut est traversé, illuminé, allumé, cinglé,
flamboyant ; c'est une fiction en gestation, en extension, en expansion et en formation
permanente. Il y a un tel foisonnement que toute lecture explicative est obsolète. Hubaut,
c'est une forme en formation, une forme de formes d'une chaotique, ni là ni pas là, ni dedans
ni dehors, ni underground, ni overground, ni prospective ni historique, ni anticipatrice ni
traditionnelle, une forme en transe, un trou noir instable, transfuge et transe-fusion, implosive
et démultipliée en débordement ailleurs, autrement, débridée et tournoyante. Hubaut,
c'est une imagination expérimentale et métaphysique et très pragmatique (il réalise ses
projets sur un long terme avec l'envergure d'un capitaine d'entreprise) qui transforme, transmute,
recycle, transborde, transplante, transcode, transcharge, une imagination qui ne
cesse de nouer et dénouer, une machine à croisements et entrecroisements analogue aux
mathématiques des noeuds (bien qu'il se réfère à
Deleuze et Guattari, à
Mille Plateaux).
En tout cas, pour aborder le continent en gestation de ce Tohu-Bohu, une bonne lecture de quelques classiques est nécessaire, malgré tout, à qui veut pénétrer plus théoriquement
dans ce cosmos magmatique : Gaston Bachelard pour sa poétique de l'imaginaire,
Lyotard pour la théorie postmoderne, Lupasco pour la chaotique des contradictions, Piaget
pour la structuration d'un psychisme interdisciplinaire, Michel Serres pour le Tiers inclus
(ou la logique des contraires), Deleuze et Guattari pour la théorie des rhizomes,
Derrida
pour ses approches d'Artaud,
Bergson pour
Les Données immédiates de la conscience,
Nietzsche pour
Le Gai Savoir,
Fourier pour
L'Attraction passionnée et
Le Nouveau
Monde amoureux,
Proudhon pour sa théorie encore trop méconnue d'une autre vision
de l'anarchie et de l'éducation perpétuelle, Stirner pour
L'Unique et sa propriété,
Isou pour
sa théorie de la novation ou créatique,
Beuys pour sa théorie de la sculpture sociale et sa Free
University,
Filliou pour sa théorie et sa pratique de la création permanente. Hubaut, sous
le masque des drôleries burlesques, est une energia spirituelle formidablement délivrante,
un dragon ancien avec des outils nouveaux et là encore il faudrait aussi se plonger dans un
autre corpus, celui des sages anciens et des mystiques de l'islam et de la chrétienté comme
du judaïsme, celui, immense, des divers bouddhismes (hindou, chinois, tibétain, japonais)
et finir provisoirement avec l'ouvrage de Jean-Marc Vivenza
La Doctrine de la vacuité (Albin
Michel). Joël Hubaut est un écrivain-artiste inclassable, un irrégulier, diraient les Belges, à
l'écart des approches modernes, contemporaines et d'avant-garde. Sa formation, sur le tas
et dans la rue, en autodidacte furieux de tout avaler (ce qui déborde, ce qui dérape, ce qui
dérange, ce qui déroute) le conduit inéluctablement dès le début de son adolescence vers toutes
les formes de révolte musicale, graphique (c'est l'époque du groupement Panique avec
Arrabal, Jodorowsky, Cieslewicz…), textuelle (la littérature illettrée des fous et des
irréguliers du langage comme Altagor, Martel,
Dubuffet, les mediums et les spirites, les
publications de Pauvert et de Losfeld du côté des surréalistes partisans du « Lâchez tout ! »
et les éditions du Soleil Noir de Di Dio qui a publié
Héros Limite de Luca,
Infra Noir de
Pélieu, Rodanski…) : de l'importance des petits éditeurs rebelles qui ont soutenu les diverses
mouvances dada, surréalisme et cie, des libraires et bouquinistes de province (à Caen, en
particulier, où Hubaut put s'abreuver). On ne dira jamais assez la nécessité de tels foyers
d'accélération des énergies dispersées au hasard et des premières rencontres ainsi opérées :
cela sera primordial pour Hubaut, puisque plus tard, bien plus tard, peu après son entrée
comme professeur à l'école d'art de Caen, en 1978, il reprendra le flambeau en inventant un
lieu,
Mixage International, une revue avec de jeunes étudiants puis les éditions de la C.R.E.M.
avant de devenir le conseiller artistique des éditions sonores de la Station Mir à Hérouville
Saint-Clair (avec une nouvelle génération d'étudiants amis, dans les années 90) et le promoteur
d'une série de soirées Hiatus avec le FRAC Basse-Normandie. Récepteur-émetteur, passeur,
colporteur, aiguilleur et conseiller au carrefour des chemins, Hubaut est l'actant interactif
d'une tribu invisible d'individus qui depuis les années 70 n'ont cessé de fomenter des rencontres
sous forme de revues et de festivals comme
Henri Chopin et sa revue sonore OU,
Julien Blaine
et sa revue internationale
Doc(k)s,
Serge Pey avec ses rencontres toulousaines et sa revue
Tribu,
Tibor Papp avec
D'Atelier et la revue électronique
Alire,
Richard Martel avec son espace Le Lieu (à Québec) et sa revue d'art-action
Inter, l'entreprise
Kanal et cie… Hubaut, dès ses
débuts, est parfaitement conscient qu'il appartient à un immense réseau planétaire qu'il
découvre peu à peu au gré des voyages et des interventions, un réseau qui ne cesse de se nourrir
par des rencontres transgénérations, non seulement avec son temps, mais avec des
époques antérieures, jusqu'au Moyen Âge. En ce sens, il faut envisager son oeuvre dans sa
totalité car dans sa conception épidémique, tout, absolument tout, fait oeuvre en mouvement
perpétuel. À cet égard, le seul artiste agitateur qui lui ressemblerait, dans la même vaine
autodidacte et dévoreuse de totalité, c'est
Ben, plate-forme internationale de recyclage depuis
1959, à Nice, et promoteur en France du territoire
Fluxus.
Deux énergumènes, hors normes, dont les bouillonnements
troublent les points de vue étroits de la critique qui est
bien incapable de saisir, à la fois et en même temps, la présence
contradictoire chez le même individu de l'art brut
ou singulier et d'un art conceptuel, fondamental : la double
articulation (ce qui est rare car interdit, refoulé, dénigré sous
le prétexte qu'il faut choisir une voie), ils choisissent la vie
dans sa multiplicité, dans sa fabuleuse croissance excentrique
: Rabelais, Cervantès, Diderot,
Fourier, des univers
en processus, loin, loin des règlements académiques, du
goût et du beau ; des « vivants », quoi, pour citer un des suicidés,
Alain Gibertie, ou un kamikaze-rock, un autre suicidé
du spectacle, Robert Malaval. Faudrait peut-être y penser
pour saisir le phénoménal phénomène (noumène) respirant
et aboyant HUBAUT (et dansant et chantant).
Scénographe d'un théâtre des opérations, permanent partout
(école, maison, festivals, rencontres, expositions), le rastaquouère entame toujours à l'enclume
son rythme celto-mongol : dispersion, déraillement systématique, raillerie cosmique où le
lait du lai de Lanval tourne en blé dans les moulins du vent. Hubaut (clarifié à la nouvelle
clairette du clairon) serait notre Hugo populaire (mais sans peuple because les médias qui
occultent le musico), notre faux-vrai gaulois tendance Astérix brisant les tables iniques de
la loi centrale imposée comme norme définitive, vociférateur punk pissant doublement
(adoubé chevalier du taste-vain) sur nos doctes assemblées couardes et moroses comme
sur tous les adeptes béats punkoïdes. Pas d'idées, pas d'idoles, pas de parti (sauf d'en rire) pas
de drapeau, pas de gourous, pas de mots d'ordre, pas de ceci, pas de cela, pas de poètes,
pas de musiciens, pas de peintres, pas d'artistes, rien qu'un trou encore plus noir, rien que
la vraie lumière noire, pas de quoi que ce soit, pas de pas du, pas de pas de. Fornicateur
universel, braisé, prophète hybride, illuminant, il provient comme une grande lame de fond,
un tsunami, de la mémoire de tous les insoumis, en raillant les enrôlements, ici et ailleurs,
dans les écoles, dans les entreprises, dans les églises, dans les partis, à tous les étages
économiques et sociaux. Scénographe précis, calculateur et improvisé, il dévoile et déroule chaque année, les faces de plus en plus complexes de son circus planétaire,
anti-barnum absolu, pitre théorique et guignol rocambolesque, par tous les moyens : livres,
disques, CD, DVD, objets, tableaux, écritures, concerts, débats, actions, installations,
conférences, workshops, banquets et bamboulas. Mais la scène engendre de la scène :
comme s'il avait rendu possible une sorte de vrai guignol's band frénétique en 25 années
d'actions d'enseignement et cela donne encore une poignée de nouveaux virus : Illusion
Production/Déficit des Années Antérieures (musik, label, expositions), Mixing (mobilier
discrépant), Mix News (à Cherbourg puis cARTed à Siouville avec expositions et rencontres),
Les Tétines Noires (rock minéral fondé par son fils), La Ferme électronique et la Station
Mir (Hérouville)… passeur, relais, échangeur, déchargeur, transporteur, à flux tendu. En la
belle et beurrée Normandie, ce don qui chiotte a fondé une Saga du surgissement de la
mémoire populaire (une nouvelle tapisserie vivante et rieuse de Bayeux), une Saga catholique
et cathodique, passant par la Lorraine et l'Égypte. Cul terreux terrible, taureau-bison,
Hubaut est bien loin, très loin de la gent artistique parigote et cie, ogre antédiluvien à
l'appétit féroce, brisant d'un coup de cou de gueule les béni-oui-oui polis de la courtisanerie
nationale (il fut encore récemment censuré par une télévision pour action non conforme,
à propos de DADA, dans le cadre de l'exposition du Centre Pompidou : à se mordre de rire) ;
on a tellement peur, ici, dans ce beau pays bananier, des vivants car Hubaut n'est pas, bien
entendu, un nostalgique de DADA, il est, à sa manière, une réincarnation inassimilable, trop
poivrée pour les gosiers dégénérés de l'institution télévisuelle et étatique, merci encore pour
cet acte médiocre de censure qui en dit long et très long sur la police secrète de la culture
vivante, âpre et burlesque. Mais c'est fini, les carottes sont presque cuites car sur le Net,
chez UBU (New York), on peut déjà voir et entendre ce qu'on nous refuse et bientôt sur
d'autres sites comme Erratum ou Caramba. Hirsute (allez faire un petit tour chez les
Incohérents et dans l'Idiotie), marginal rocker
patataphysique, bouffon hilarique, furibard
et tendre, enspermé de rêves (Carroll, Tolkien…), éjaculateur lent de projets débridés (la
tournée hilarante des couleurs venimeuses du régime nazi : jaune, rouge, rose, vert, noir) ;
Hubaut chevauche l'Europe sans trêve et sans peur, nouveau cavalier de l'Apocalypse.
Vraiment local, vraiment planétaire, loin, très très loin des jeux minables des pouvoirs, il parle
à n'importe qui, comme la pythie, comme un médium, comme un sorcier, comme un inspiré-
aspiré ; visionnaire, en pleine nuit, il englobe dans sa mythologie trouée de milliers de
sources toutes les formes de sa vie, tournant sans cesse comme un radar halluciné, équipé
d'un tout neuf GPS, pour trouver quelques issues à l'enfer minable planétaire où tournent,
aveuglées, des milliers de bourriques ensablées par leurs diverses idéologies fanatiques.
Hubaut est un des acteurs d'un soulèvement très possible des énergies en attente et en
réserve. La chaotique Hubaut est le fruit d'un long et déraisonné entraînement quotidien,
d'une endurance à toute épreuve car elle peut rejaillir en tous sens dans des recyclages surprenants,
dans le soulèvement verbal et sonore, dans la sarabande de dessins techniques, de
signes, d'images et de figures qui proviennent de sa formation ancienne de dessinateur technique
et de son talent et, disons-le, de sa virtuosité dessinatoire mais toujours mise en abîme travail frénétique lui donne la capacité, quasiment immédiate pour l'improvisation, car il
n'a plus à s'entraîner puisqu'il est en mouvement perpétuel d'action débridée, pressé par les
urgences des projets en train de se tisser. Dessinateur, organisateur, scénographe, acteur,
chanteur, écrivain, architecte d'environnement, orchestrateur d'événements, Hubaut est un
agitateur permanent d'une espèce très rare en France où l'on fuit la sarabande baroque, style
sans bride et sans rides du Moulin-Rouge de l'époque d'Offenbach et d'Alexandre Dumas.
Dessignateur et désignateur.
Cette
chaotique, par contre, a des résonances étroites avec les avant-gardes historiques
dans la mesure où elles tentèrent, dans toute l'Europe, de briser le confort et le carcan bien
établis des conformismes en toute matière : Hubaut s'est nourri de tous les expressionnismes
depuis les fauves (Van Gogh,
Gauguin, Matisse…), les révoltés du premier expressionnisme
allemand (Kirchner et ses gravures sur bois et toutes les rêveries d'une autre société libérée
de la famille, des maîtres et du capital), les élans et les sauts du Cavalier bleu (
Kandinsky, Klee,
Marc, Macke, Jawlensky), il s'est nourri du déferlement
futuriste italien sur l'Europe avec les mots en liberté de
Marinetti (1910-1914), avec l'imagination sans fil et la splendeur
géométrique, avec le bruitisme de
Russolo (manifeste
prémonitoire de 1913), avec la peinture des sons et des couleurs
de Boccioni, avec les planches de mots et d'images de
Depero, avec le déferlement futurien dans tous les domaines,
il s'est nourri tout autant du futurisme russe et du suprématisme
de Malevitch (tout commence enfin à être publié en
France dans les années 70) comme de Mondrian et de
Doesburg (dada futurien constructiviste), et surtout des bombes implosives immédiates ou
à retardement de
DADA à Zurich (
Ball,
Arp, Janco, Tzara), du DADA de Berlin (la centrale
d'
Huelsenbeck et
Raoul Hausmann, le dadasophe qui libéra la lettre et le signe et le geste et
la voix : son photomontage ABCD de 1920 en est le manifeste ou la manifestation la plus
concentrée d'un nouvel art en toutes directions et cosmique), du Merz anti-DADA de
Schwitters, il s'est nourri avec gourmandise des pétarades du DADA de Paris avec Tzara,
Picabia, Satie et
Picasso, en particulier
Relâche et
Entracte, comme des pétards « à bruit
secret » de
Duchamp et Man Ray : il ne peut oublier la maxime de Picabia « tous les dada
sont présidents ». Mais Cravan et ses provocations (sa revue
Maintenant et ses performances-
danses-conférences) l'excitent prodigieusement comme
Les Soirées de Parisd'
Apollinaire et la revue Sic (son idée couleur) de l'écrivain typographe Pierre Albert-
Birot (qui inaugure, en 1916, les poèmes-pancartes et les poèmes à crier et à danser).
La Révolution Surréaliste de la bande à Breton revigore sa révolte globale contre tous les
esclavages, exploitations et colonialismes ; rien de ce qui fut un refus global de la pourriture
des pouvoirs et de leurs compétitions guerrières ne lui est étranger et c'est cette longue
litanie de l'art de l'anarchie qui nourrit aujourd'hui son épidémien soulèvement. Mais les Belges Hubaut mixe et remixe tout ce qui passe. Mais Hubaut-réacteur ne lance pas son immense
moulinet seulement dans les anciennes nappes qui ressurgissent aujourd'hui grâce aux nombreux
travaux des historiens des années 20, il mouline et vrille dans un passé proche et
même réussit à rencontrer quelques dinosaures des années 50 comme
Isou, Lemaître,
Wolman, Brau et
Dufrêne, énergumènes étranges du « soulèvement » lettriste, refoulés
odieusement par les pisse-froid des pseudo-mouvements bien établis (à chacun de trouver),
il mange à même
Cobra et se passionne pour les projets d'un art expérimental de
Jorn
et Dotremont (le poète de la désécriture) dont le croisement étrange avec le lettrisme donnera
naissance à l'
Internationale Situationniste (un soi-disant dépassement et de Cobra et
du surréalisme et du lettrisme : mais c'est une bourde – chaque mouvance propose une
autre voie, aucune ne remplace l'autre et voilà l'erreur d'une certaine avant-garde sûre de sa
vérité) ; Hubaut avale tout et mélange tout et, dans son immense marmite, il fourgue tout
en vrac : poésie concrète, poésie visuelle, poésie sonore, Mail Art de Ray Johnson, happening
and
Fluxus, les affichistes (
Hains,
Villeglé,
Dufrêne), le pseudo-mouvement nouveau
réaliste de Restany (avec
Arman et ses accumulations,
César et ses compressions,
Spoerri
et ses tableaux-pièges) et tout
Fluxus (
Maciunas,
Brecht, Williams,
Beuys, Vostell, Dietman,
A-Yo, et surtout
Robert Filliou et
Ben le propagandiste du Théâtre total et de l'Art total,
dans les années 60).
Et malgré les apparences – Hubaut serait plutôt en résonnance avec les
Actionnistes viennois
(
Nitsch, Bruss,
Muehl), avec Kaprow, Hansen et
Lebel (happenings) –, il regarde aussi
sérieusement les minimalistes radicaux comme les conceptuels (
Kosuth,
Weiner…) et toutes
les aventures depuis les années 70 comme
Dan Graham,
Acconci,
McCarthy,
Kelley,
Kippenberger, tous ceux, et ils sont de plus en plus nombreux, qui ont dit « Non, je ne mange
pas de ce pain-là », et qui s'infiltrent dans les institutions et dans le marché mondial de
l'art car une des formes du boycottage actuel n'est pas de se retirer dans la montagne mais
d'envahir aussi le marché, si nous en avons l'estomac et la capacité. Hubaut, maintenant, est
mûr pour franchir une nouvelle frontière, celle du grand marché et pourquoi pas, comme
Warhol, qui demeure un exemple, bâtir son entreprise de soulèvement au beau milieu de
la foire (question de nerfs et de distance et d'esprit férocement carnavalesque). L'épidémie
médiatique peut s'originer via le Net et tous les réseaux qui se nourrissent en potlatch : un
instrument neuf à notre disposition et qui relance le débat sur le renouvellement des avantgardes.
Hubaut a fait de l'avant-garde moribonde un mouvement rural, urbain et de banlieue,
et jusqu'à le faire fructifier dans une école d'art : l'extension de la lutte est possible n'importe
où si l'on s'en donne les moyens. Caramba !
Michel Giroud. Peintre oral et tailleur en tout genre, in Alpina. Hiver 2006.