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Mark Lewis
The Pitch, 1998 (extraits)
Réfléchissez-y. Le figurant est un phénomène largement négligé au cinéma. Si l'on examine les inventions propres au cinéma, alors le figurant en est sans aucun doute l'une des plus importantes. Pourtant, à ma connaissance, quasiment rien n'a été écrit à ce sujet. [...]
Certains sont gros, certains sont grands, d'autres ressemblent peut-être à des gens que vous connaissez. Le cinéma seul produit un figurant à la fois présent et absent, générique, invisible, indice d'un contexte fictif, et pourtant absolument individualisé. Les figurants remplissent l'espace, ils lui donnent l'air réel. Ils mènent des discussions imaginaires qui ne sont jamais enregistrées. Leurs lèvres bougent, mais ils ne font aucun bruit qui pourrait interférer avec l'enregistrement synchrone des acteurs. [...]
Soyons francs, les figurants constituent le prolétariat silencieux des studios de cinéma. Leur boulot est exactement celui-là : rester discret, fantomatiques, à l'arrière-plan du récit.
Il y a en fait de nombreux types de figurants, différents genres, avec leurs spécialités. Le figurant révolutionnaire, par exemple, est toujours à courir, de haut en bas, d'avant en arrière. Tout le contraire du figurant de file d'attente qui attend patiemment prise après prise. Le figurant à cheval, figure importante dans les westerns où des cowboys traversent l'écran au galop pour animer le paysage derrière l'action principale. Le figurant danseur, dans des drames historiques ou des films disco, capable d'enflammer la piste avec ou sans partenaire. Dans les films coloniaux, on trouve évidemment des figurants indigènes qui doivent savoir mourir par millions massacrés par les Anglais, les Américains ou les Français. Le figurant ivre crée des diversions dans le bar ou dans la rue. Si l'action se passe dans un bus, voilà le figurant voyageur. S'il y a du danger, le figurant terrifié est bien utile. Pour toutes les scènes de rue, il n'y a jamais assez de figurants ambulants, ceux qui marchent devant, à côté, ou même derrière les acteurs d'un pas régulier. Le figurant mort demande une compétence toute particulière. Plus marginal, le figurant érotique doit simuler le plaisir à la demande.
J'aime tous ces figurants. J'aime la façon dont ils marchent et font semblant de parler. J'aime la façon dont ils se nourrissent d'aliments en plastique dans les scènes de restaurant, dont ils regardent leurs plats factices et sourient à leurs compères. J'aime comment ils s'agenouillent pour lacer leurs chaussures; la façon dont ils fument des cigares, comment ils les regardent, les tenant haut en exhalant la fumée ; ou bien la façon avec laquelle ils s'arrêtent soudain désemparés et hurlent d'effroi, les mains sur leur bouche, devant d'autres figurants feignant d'être morts. Tout ce que font les figurants me fascine.
Je veux donc rendre hommage aux individus à l'arrière-plan, les propulser sur le devant de la scène, leur rendre leur importance. Je voudrais faire un film seulement avec des figurants. Ce film s'appellerait Figurant ! Figurant ! J'y mettrais en scène plusieurs séquences typiques des films à gros budget, j'éliminerais tous les rôles principaux, toutes les scènes de dialogue entre les acteurs, tout ce qui a trait à l'intrigue et à la psychologie. Mais je garderais tous les figurants, et je chorégraphierais leurs actions comme si les acteurs étaient bien toujours là.
Je veux tourner ce film en 35 mm cinémascope, car voyez-vous un écran plus large signifie plus de figurants ; et là on commencerait vraiment à voir ces figurants, des masses entières de figurants, plein l'écran. Vous imaginez à quel point ce projet peut être saisissant. Je me demandais si vous pourriez m'aider…
Voilà, merci beaucoup.
