La déambulation, le temps d'arrêt, la quête de l'inattendu dans un espace quotidien
où l'on pressent qu'il s'est passé quelque chose – c'est un dialogue secret, complice,
presque affectueux qu'entretient Pierre Laniau avec tous ces objets délaissés sur
les trottoirs, ces petits riens dépenaillés, vite escamotés par les autorités urbaines,
qu'inlassablement il photographie. Il y a chez lui une manière obsessionnelle,
irrésistible, de considérer, puis de capturer, ou mieux d'intercepter les choses.
Les choses, car la figure humaine est absente, à l'exception de rares portraits,
généralement sans visage. Ou, si cette figure est présente, c'est de l'autre côté, hors
champ. Ce sont des brisures, des figures équivoques. Laniau joue toujours de leur
fragilité. Dans sa façon de les inventorier, il s'avance les mains nues. Je veux dire
qu'il n'use d'aucun artifice, ne se protège sous aucun parapluie. Il rencontre certes
des problèmes importants (ceux de la forme et de l'espace, de l'équilibre et du
déséquilibre, de l'unité et de l'éclatement, et d'autres encore). Mais il les signale sans
trop y insister, avec un certain détachement. Un exercice de dénuement, qui suppose
une mise en retrait. Car ce n'est pas de «modèles» dont il serait d'abord question
ou qui se trouveraient ici impliqués. Il ne s'agit ni de techniques ni de matériaux, « pauvres » ou « riches ». Nous est soumis avant tout le type de rapports et de
rencontres que ces objets suscitent. Peut-être même ces photographies ontelles
foncièrement mission d'entraîner l'esprit en une circulation inaltérable et
ininterrompue d'images. En reprenant sans cesse des éléments qui reviennent
d'oeuvres en oeuvres, en une série virtuellement infinie de combinaisons, il réalise
à sa manière des constructions imaginaires qui associent les courbes, les arcs,
les ellipses fragmentées des rampes, aux obliques, aux losanges, aux trapèzes.
Ces formes réitérées constituent une géométrie complexe, une perspective
déformée, une calligraphie, un vertige éprouvé, générateur de tensions, exprimant
des forces contenues. Cette logique du retour du même comme du toujours différent,
cette prédilection pour les variantes et les variations, donne aussi une forme de
« musicalité » à toutes ces images. Pierre Laniau arrache, en vérité, l'art à l'ordre
de la valeur du sens, pour le restituer au plaisir du voir. C'est dire qu'il trouve une
nouvelle destination à tous ces objets délaissés, celle de l'imagination. «Chaque
chose, disait Saint-Pol-Roux, est une idée ayant sur elle la poussière de l'exil. »
Emmanuel Guigon