les presses du réel

Boum Julie

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(p. 11-12)


« Je me suis fait baiser. Y'a un putain d'ange gardien qui tourne au dessus de ma vie et qui complote. Un informateur de mauvai augure, un charrieur de merde qui veut me préciser que c'est pas fini, que la guerre continue et que je suis sous son autorité. Ils m'ont laissé partir mais je leur dois quelque chose. Faut maintenir la tension et me rappeler que je suis leur débiteur. »
Je reprends ma respiration.
« Je suis une machination, un pion qu'on trimballe par la peur et qui creuse sa propre tombe. Un caveau de bêtises et de honte. »
Les rideaux rouges du cabinet me rappellent le dessus-de-lit de ma tante, une folle irascible qui pestait contre le dictionnaire et les gouvernements, la méchanceté en étendard. Je me rappelle m'être senti mal à l'aise tout de suite ici, mais ce souvenir d'enfance a détourné mon attention et m'a doucement fait accepter la situation. Dès le début, je décidai de mentir, tellement sûr que ce qui se passait dans cette pièce avait des oreilles en cascade. Une armée de scribouillards vicieux et d'analystes dangereux décryptant tout ce que je pourrais dire.
« Je vous parle, mais je suis loin, vous ne pouvez pas m'atteindre, je suis imperméable à toutes vos remarques.
– Je n'ai rien dit, fait elle assez sèchement.
– Je ne veux rien vous dire parce que vous savez tout et je ne veux pas admettre la situation. On me tient par les couilles. Et j'essaie de vous faire confiance.
– Vous ne voulez pas être là, inutile de parler de confiance. Moi, je vous écoute.
– Je ne fais que parler, que mentir, dire la vérité d'un jour, inventer les versions du moment. En attendant les nouveaux rebondissements. Je suis une girouette dans un tourbillon. La peur me tenaille le ventre. Vous m'écoutez comme les autres ; comme un suspect, en me traquant. Vous ne pouvez rien pour moi, je ne suis pas maître de mes pensées. On est entré en moi et la seule planque que j'ai trouvée, c'est l'oubli.
– Mais vous êtes incohérent et hostile. Votre fuite est aussi mon problème, je dois vous aider, ça doit passer par la vérité. »
Elle parlait en nouant ses cheveux, en inspectant ses ongles ou en croisant les jambes, feignant l'indifférence. En récitant.

(...)


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