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L'inspection des roses
Je ne peux pas non plus chanter la beauté des rives, car il fait un froid d'enfer ; les bouleaux n'ont pas encore de feuilles ; ça et là s'étendent des plaques de neige ; des blocs de glace flottent, bref l'esthétique s'en est allée au diable. Partout où l'on peut mettre une barque à l'eau se tient une ferme autour de laquelle, en pleine été, verdit la couronne d'un champ, les landes vert pâle s'étirent sur le flanc de la montagne et les pissenlits jaunes s'allument dans l'herbe. Devant moi, les arbres sont dénudés. Des bouleaux, un sapin mort, un petit étang. A côté, quelqu'un est enterré sans pierre tombale. Au-delà, un deuxième pré, puis un troisième. Sol spongieux ; bourbeux, mes promenades me l'ont appris. Dans le lointain, des bois, noir parapet. Et si l'un de vous s'enhardit jusqu'à baiser ma bouche rouge, il lui faudra aller pieds nus, en robe de pénitent, jusqu'à Rome et y attendre que le bois maudit reverdisse, alors qu'à mes pieds fleurissent sans cesse les roses, les violettes et les myrtes.
L'oncle Georg est mort il y a quatre ans, tout aussi subitement que son frère, mon père, mais à la suite d'une crise cardiaque qui l'a surpris dans le parc de sa villa, alors qu'il se proposait justement d'inspecter ses roses qui étaient devenues, sur le tard, sa seule passion.
– « Peu avant sa mort, un oiseau
sur une branche l'éveilla. »
Un jour il était assis comme cela sur un banc dans la forêt. Il avait appelé sa femme, mais comme la piscine se trouvait à l'autre bout du jardin, elle n'avait rien entendu.
(...)