les presses du réel

Danser sa créature

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Préface
Jérôme Bel
(extrait, p. 9)



En 1999, je suis allé voir la pièce Überengelheit de Myriam Gourfink au studio du TCD1 à Paris car j'avais entendu de très bonnes choses sur son précédent solo, Waw. Ce fut un véritable choc ! La lenteur de la danse, son incroyable qualité, l'absence de compromis au spectaculaire m'ont enchanté. Je me rappelle aussi certains membres du public quittant la salle, ulcérés par ce qu'ils voyaient. Pour ma part, j'étais complètement subjugué.
J'étais très impressionné par le fait que Myriam Gourfink parvienne à renouveler une certaine tradition du spectacle de danse, en conservant des paradigmes dont j'avais dû me débarrasser pour construire mon propre travail. Elle continuait à utiliser les éléments constitutifs du spectacle de danse – la musique composée pour la pièce, le costume de scène, les éclairages et… la danse « pure » – et réussissait pourtant à produire une expérience totalement nouvelle. À l'intérieur de ce dispositif traditionnel, son apport chorégraphique principal était de ralentir la danse à un degré jamais expérimenté auparavant par des spectateurs, en tout cas jamais expérimenté personnellement. La danse m'apparaissait incroyablement intense et élaborée.
J'étais tellement enthousiaste que je demandai à Myriam Gourfink de m'écrire un solo. Cela faisait six ans que j'étais chorégraphe, le travail d'interprète me manquait peut-être. Je pense surtout m'être identifié très fortement à cette danse, une danse que j'aurais voulu produire moi-même…
La forte influence du yoga sur la danse de Myriam Gourfink m'intéressait puisque j'avais pratiqué le yoga pendant trois ans avec un grand bonheur. C'était aussi une danse que je pouvais encore interpréter, une danse qui ne nécessitait pas l'entraînement du danseur, que j'avais abandonné depuis huit ans.
Un peu gêné, je lui ai donc fait la proposition et elle a accepté avec enthousiasme. J'ai décidé de produire la pièce moi-même afin d'être complètement libre, de ne devoir rien à personne, de ne pas être obligé de montrer la pièce en public et même de pouvoir tout arrêter au cours des répétitions si cela ne me convenait pas.
J'ai adoré travailler avec Myriam Gourfink.
Je me rappelle l'avoir d'abord rencontrée chez elle. Elle tenait un livre de Beckett à la main, peut-être Compagnie ou Le Dépeupleur, ce qui me semblait de très bon augure. Elle m'avait annoncé le titre du solo, Glossolalie – terme désignant ce trouble du langage qui consiste à prononcer des mots inventés. Il correspondait très bien à ce que je connaissais de son travail, et pouvait en être la définition même.
En répétitions, Myriam Gourfink était très directive. C'était exactement ce que je cherchais, quelqu'un qui me dise quoi faire. Je voulais devenir cet interprète, n'être plus que le passeur entre l'auteur et le spectateur, me dissoudre dans la danse, faire disparaître Jérôme Bel.
(...)
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