«
Raymond Hains aimait employer, pour désigner l'annexion par les artistes, dans les années 1960, d'un bien commun proclamé contre toute raison apparente leur propriété et leur marque de fabrique, le nom d'une pratique médiévale depuis longtemps tombée en désuétude : le "droit d'aubaine". [...] Cette appropriation n'est aucunement le fait d'une décision arbitraire et concertée : Stämpfli en est venu à concentrer sa peinture sur la représentation des sculptures de pneumatiques au terme d'un lent processus, où l'intuition, et l'exploration visuelle, non le calcul, ont joué un rôle essentiel. En 1962, il a délaissé l'expressionnisme abstrait (qu'il pratiquait encore au moment de son arrivée à Paris en 1959) pour une figuration réaliste élégante et économe, proche de la peinture de
Tom Wesselmann (l'un des grands noms du pop art, pas toujours reconnu à son juste rang) bien qu'il n'y ait avec l'artiste américain aucun lien d'influence. Sept années durant, il s'est concentré sur les images du quotidien, épurant peu à peu ses tableaux pour ne garder souvent que des fonds verts ou blancs : durant cette période de maturation, il a resserré tout à la fois ses cadrages [...] pour réduire ceux-ci à l'automobile tout d'abord, puis aux roues, et enfin aux pneumatiques. »
Didier Semin
Publié à l'occasion de l'exposition éponyme à la Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris, du 9 septembre au 9 octobre 2022.
Ouvrage publié sous plusieurs couvertures différentes, distribuées aléatoirement.
Après des débuts figuratifs proches du
Pop Art anglais, le peintre suisse Peter Stämpfli (né en 1931 à Deisswil bei Münchenbuchsee, Suisse) se consacre au thème de l'
automobile, qu'il approfondit et fragmente. Sa démarche aboutit à la représentation du pneu qu'il libère de son environnement pour ne garder que l'empreinte géométrique épurée et déclinée sur différents supports.
Stämpfli s'installe dès 1959 à Paris et entame très rapidement une carrière internationale, représenté par de prestigieuses galeries telles Bruno Bischofberger à Zürich ou Jean Larcade à Paris. Isolé sur un fond blanc immaculé, le personnage d'
Autoportrait au raglan, tout comme le tableau de bord de
Ma voiture, peints avec autant d'exactitude que de détachement, apparaissaient déjà en 1963 comme l'une des rares réponses européennes immédiates à la déferlante du Pop Art américain. « Comme d'autres artistes européens ayant commencé à puiser dans l'imagerie tape-à-l'œil et de grande dimension de la publicité, de l'affiche, de la photographie et du cinéma, en vue de parvenir à un art figuratif qui, reconfiguré, serait capable de rivaliser avec l'abstraction en termes d'intensité et d'impact formel, Stämpfli se sentit conforté dans sa nouvelle orientation par le Pop Art américain et britannique » (Marco Livingstone). À partir de 1966, fixant son attention sur un objet particulièrement représentatif de la société de consommation, la voiture, puis se restreignant dès 1970 sur le pneu et précisément la bande de roulement, Peter Stämpfli – par le biais de l'agrandissement extrême de ce qu'il appelle (paradoxalement) la « sculpture du pneu » – développe un langage pictural radicalement nouveau. À partir de ce sujet unique, il revisite l'histoire de l'abstraction géométrique et transforme un thème ordinaire illustrant « le pouvoir de l'art à convertir n'importe quel élément en qualités esthétiques » (Henry Martin,
Art International, 1971). L'unité du sujet est pour Stämpfli le moyen d'interroger, sans jamais se répéter, toutes les techniques et les moyens de la peinture. En travaillant précisément et obsessionnellement sur l'empreinte du pneu, Peter Stämpfli a fait de ce motif sa signature.
Les œuvres de Peter Stämpfli ont intégré de nombreuses collections publiques. Parmi elles : le MoMA à New York, le Centre Georges Pompidou à Paris, le Kunstmuseum à Zürich.