Première monographie de l'artiste qui fait des états du
corps en mutation le territoire de ses recherches, entre désirs et souffrance
: un livre-objet non pas chronologique ou descriptif, mais davantage tourné vers l'intimité d'un processus de création, conviant le lecteur à s'immerger dans un geste pictural et à plonger dans le quotidien d'un atelier.
Entre l'âge de sept ans et vingt ans, Sarah Jérôme exerce la danse quotidiennement. Au fil des étirements, des enchaînements et des efforts, elle parvient à sculpter et à modeler son corps. La danse classique appelle à un dressage du corps, une discipline que l'artiste a peu à peu refusée et abandonnée. En 2008, elle décide de se plonger dans le dessin, la peinture et la sculpture. Le corps constitue la colonne vertébrale de sa réflexion plastique. Des ramifications s'opèrent vers d'autres territoires comme le temps, la mémoire, le paysage et la matière. Ses œuvres génèrent des impressions contradictoires. Si la danse représente une source de jouissance et de beauté, elle renferme aussi la douleur, la privation et la soumission. La grâce y est synonyme de torture.
Cette monographie est une invitation à la découverte du regard d'une artiste qui retranscrit le monde à travers un spectre à la fois poétique et critique dans une esthétique de la dissonance, traduite en images intenses et vulnérables. Au moyen de mediums protéiformes comme le dessin, la peinture, la sculpture ou l'installation cet ouvrage est le témoignage d'une démarche qui sensibilise le spectateur à une vision non manichéenne du monde, tapissée au contraire de zones grises d'une troublante attraction. Les sections iconographiques sont accompagnées d'un texte critique et d'un entretien d'une part, mais aussi de témoignages de collectionneurs privés révélant leur relation à l'œuvre et à l'artiste.
« Un rapport dichotomique que Sarah Jérôme distille dans son œuvre en opérant à des frottements entre la séduction et la répulsion, l'étonnement et l'effroi, le rêve et le cauchemar, la délicatesse et la brutalité. Elle explore un espace entre-deux, deux états, deux sentiments, deux moments. Mue, réalisée en 2013 figure un couple dont les corps sont enchevêtrés. Formés de longs fils de lins tressés, ils semblent surgir de la matière, comme l'apparition d'une vision, d'un souvenir aussi bienveillant qu'angoissant. Les tresses épaisses les emprisonnent, ils sont comme pétrifiés, figés dans le temps. L'artiste fait ici référence à nos ancêtres dont les histoires nourrissent non seulement les nôtres, mais aussi une mémoire collective. Entre présence et absence, ils nous habitent et traversent le temps. Leur apparence fascinante et monstrueuse souligne la complexité de l'histoire humaine. L'artiste fouille la dimension monstrueuse du corps avec une série de peintures intitulée Les Montagnes. Sur des feuilles de calque, la peinture à l'huile est asséchée par l'essence. Les matières opposées sont travaillées par le dessin. L'artiste prélève et creuse la peinture pour faire surgir des visages féminins de montagnes massives et monumentales.
Telles des chrysalides rocheuses renfermant des corps de femmes, les montagnes sont autant un abri à l'intérieur duquel il est possible de se cacher, qu'une prison. Les corps sont ici envisagés comme des constructions formées de couches et de strates. Pris dans la matière et dans l'ambivalence, ils sont en devenir ou bien murés dans la douleur et l'impossibilité. Il en est de même pour les visages sculptés dans la terre. Le Champs de Pensées est composé de têtes endormies disposées au sol, elles sont survolées par un groupe de corbeaux dont les intentions sont aussi menaçantes que protectrices. En hybridant le corps, la nature et la mémoire, Sarah Jérôme revisite un registre symboliste convoquant la magie, la religion, les mythologies et la poésie. Son œuvre engendre une vision plurielle de notre histoire, des relations humaines et de nos relations à la nature. Entre épanouissement et aliénation, l'artiste sonde la matière humaine pour en extraire les trésors monstrueux. »
Julie Crenn
Sarah Jérôme est née en 1979 à Rennes, elle vit et travaille à Montreuil. Diplômée du conservatoire national supérieur de
danse de Paris en 1998, elle fait un passage à l'Opéra national de Lyon puis se tourne vers les arts plastiques et étudie à l'école nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris.
Son œuvre engendre une vision plurielle de notre histoire, des rapports humains et de notre relation à la nature. Elle dessine et peint essentiellement sur papier calque et travaille la céramique.
Son travail est montré en France, en Italie, en Angleterre, en Suisse, en Belgique aussi bien dans des galeries que dans des foires ou des Musées.