Un document poétique réalisé à partir d'un jeu de prélèvement et de redisposition d'énoncés trouvés sur les sites internet de groupuscules
politiques et d'agences de presse internationales.
« Ces énoncés ont été prélevés de sites internet, nul mot n'est de mon for. Le travail est ailleurs – sélections, agencements. redistributions, beaucoup d'autres ont travaillé ainsi, bien avant moi. Charles Reznikoff, pour n'en citer qu'un, fait partie de cette tradition méconnue. Les lieux originaires de ces textes ont pour finalité d'encourager au combat, il ne s'agit donc pas de récits autobiographiques, mais de poème de guerre. Fabrication de légendes, célébration des disparus, chants héroïques. Les conceptions de la vie, de la mort ou de la joie que ces modèles mettent en place nous sont aujourd'hui, pour une part, totalement étrangers. pourtant, ces agences s'élaborent sous nos yeux. Il me semblait utile d'en tenter une synthèse sans aucune prétention a I'exhaustivité ni a la représentativité des échantillons choisis, J'inscris ce travail comme une contribution au genre du “document poétique”. J'entends par ce terme, non un poème, ni même des textes a visée poétique, mais un dispositif destiné à produire un certain type de savoir. Plus que des contenus spécifiques. ce sont les formes et formalisations de savoirs de différentes natures qui sont recherchées et, peut-être, inventées. Ces formes, issues d'un contexte précis, doivent pouvoir être transportées vers d'autres contextes, et adaptées aux besoins d'alors. Certains compositeurs ont par le passé accompli ces synthèses, la musique est en avance.
“Comment décrire aujourd'hui quand les outils les outils de description manquent encore ? Comment fabriquer de nouveaux outils de description ?” est une des questions qui m'aura ici intéressé. Il me semble inutile de préciser que I'apologie ou la critique des comportements décrits dans ces énoncés sont hors de propos quant a l'investigation menée.
Peut-être est-il intéressant de remarquer qu'il y a quelque chose de médiéval dans ces “portraits chinois”, et dans les documents poétiques. plus généralement.
Si ce texte s'inscrit dans une lignée “objectiviste” de production de documents (je parlais plus haut de Charles Reznikoff, de testimony ou de holocaust). Je m'aperçois aujourd'hui, après composition, que non seulement les compilations médiévales encyclopédiques, ces summa qui proposent une relation si particulière au savoir mais encore les exempla légendaires et autres lectionnaires, tels que La légende dorée, pourraient aussi servir d'indication de lecture. Chroniques et légendes, martyrologues (acteurs, dates, lieux), dont le modèle antique fut sans doute les vies illustres, visaient à munir les prédicateurs d'une documentation aisée et d'instruments commodes à manier et à mettre à jour. que certains formats de documents et certaines technologies intellectuelles rendent à nouveau possible un usage de la poésie aujourd'hui négligé, ici, en Occident, ou permettent l'invention de nouvelles formes de vie, voilà peut-être une idée qu'une perception purement esthétique de la poésie nous avait fait momentanément oublier.
Un mot encore sur la double publication, française et anglaise, de certains textes : il ne s'agit en aucun cas de traduction. Les matériaux d'origine étant eux-mêmes publiés en plusieurs langues, à l'attention des différentes agences de presse internationales. J'aurai ainsi cherché à reproduire ce geste éditorial, ce ne sont donc pas tant les glissements de formulations d'une langue a l'autre qui m'intéressaient que ces adresses pensées comme multiples et structurellement présentés dans la rédaction même des matériaux. »