Les polaroids de Pierre Keller saisissent toute la richesse et la complexité de la vie gay des années 1970 à 1980, d'expériences partagées en morts soudaines. Devant nos yeux défilent les peaux brunes, les postérieurs laiteux, les sexes rouges, les godes blancs et les néons verts des saunas gay. Keller capture également quelques purs moments de poésie contemplative.
Contrairement à
Robert Mapplethorpe, qu'il fréquentait avec Nan Goldin, Keith Haring et Michel Basquiat, Pierre Keller n'a jamais travaillé avec des modèles professionnels. Keller, qui gardait toujours son appareil SX-70 dans la poche d'un vieux pantalon de l'US Army, photographiait ses amants, lui qui aime à décrire la photographie comme un acte sexuel.
L'autocensure était hors de question, et le plaisir venait toujours en premier, sous la forme d'un bel homme au milieu de banquets de délices terrestres. Comme le suggère
Jean Tinguely, un artiste que Keller admire, ces clichés représentent une forme de cinéma intime, loin des photographies diffusées à outrance sur les réseaux sociaux actuels.
Le parcours de Pierre Keller (1945-2019) dans le champ culturel suisse et international est particulièrement riche et diversifié. Graphiste de formation, il a d'abord travaillé en Suisse et en Italie (avec Eugenio Carmi), conjugant son intérêt pour l'art optique et
cinétique et à sa connaissance du vocabulaire des arts appliqués modernes. S'installant aux Etats-Unis et au Nova Scotia College of Art au début des années 1970, il découvre l'
art conceptuel et réalise ses fameux « Kilo-Art » (inventant une nouvelle unité qui sera validée par le Bureau fédéral des poids et mesures de Berne...), puis s'intéresse au médium
photographique en utilisant notamment le Polaroid. Dans l'effervescence du New York des années 1970-80, il côtoie
Nan Goldin et
Keith Haring, et débute une carrière d'enseignant, avant de devenir, dans les années 1990, le directeur influent de l'
Ecole cantonale d'art de Lausanne (ECAL).