Traduction dans l'espace du livre du film éponyme d'Etienne Chambaud et Vincent Normand qui lie le destin de la guillotine et du musée moderne autour du concept de « Musée décapité ». Le texte de la voix-off a été reproduit sous la forme d'un livre à tirage unique, puis photographié dans le dispositif de tournage du film, donnant lieu à un livre de photographies oscillant entre le statut de document textuel et celui de scène imaginaire.
Contre-Histoire de la Séparation (52 min, 2010) débute pendant la Terreur, en 1793, lors de l'apparition de la guillotine sur la scène révolutionnaire et de la création du musée moderne. Il se termine en 1977, année de la dernière décapitation par guillotine et de l'inauguration d'un nouveau prototype de musée, le Centre Pompidou. Il explore l'espace ouvert par le mode de découpe optique et politique inventé par la modernité, en retraçant la dissolution des fonctions du musée moderne et de la guillotine dans ce que les auteurs appellent le « Musée décapité ».
Etienne Chambaud (né en 1980 à Mulhouse, vit et travaille à Paris) mène une réflexion exigeante sur la nature de l'œuvre d'art, sur les relations qu'elle entretient avec d'autres œuvres, sur les contextes et raisons de l'apparition des objets, sur la manière dont on les utilise et les charge de sens ou d'un récit particulier.
Son approche artistique est nourrie de sa pratique de lecteur et de la notion d'intertextualité. Il remet en question le postulat moderniste d'une œuvre qui se suffit à elle-même en insistant sur son inscription historique et sémantique dans un schéma de création plus vaste. Elle n'est plus un simple objet mis à la disposition du regard du spectateur mais le résultat de tout ce qui l'a précédée. Elle ne fonctionne jamais de manière isolée mais trouve son sens ou son intérêt dans un dialogue permanent avec les autres œuvres. Elles s'enrichissent ainsi mutuellement pour dessiner progressivement les contours flous d'une constellation de références communes. Elles fonctionnent comme des palimpsestes qui gardent la trace d'un travail antérieur tout en proposant une nouvelle composition, oscillant ainsi sans fin entre une répétition inéluctable et un horizon chaque fois renouvelé.
Les œuvres d'Etienne Chambaud ne se livrent pas dans la seule interprétation de leurs formes, mais nécessitent le recours d'un élément supplémentaire, comme leurs légendes ou leurs titres, pour tenter de les cerner. Il met ainsi le spectateur dans une position embarrassante en le confrontant à un objet énigmatique et en apparence muet. Paradoxalement, leur hermétisme ne vire pas à l'élitisme et établit au contraire une certaine égalité entre les spectateurs.
Raphael Brunel, Les Cahiers de la Création Contemporaine
Vincent Normand est historien de l'art, auteur, commissaire d'expositions et enseignant à l'
ECAL – Ecole Cantonale d'Art de Lausanne.